La maison de Mica, au village des Abricots,
n’a pas de portes. Enfin si, une seule, une bonne grosse porte de bois sombre
en arceau, comme celle d’un château du Moyen-Âge, que son défunt mari avait
fini par installer pour que les gens ne puissent plus dire que sa maison
n’avait pas de portes. Mais c’est bien symbolique : tout l’arrière de la
demeure est ouvert, sans vitres ni rien, sur un grand jardin planté d’aloès, de
cocotiers, d’un abricotier et de plantes à fleurs que je serais bien en peine
de nommer. En contrebas, on voit la mer qui jette son écume sur une étroite
plage et berce des bateaux de pêche à voile.
Dans le jardin errent un paon qui fait la roue
pour ses deux paonnes, un nombre indéterminé de canards, dont une cane à l’aile
cassée suivie de trois canetons qui ne sont pas les siens, ainsi qu’un chaton
qui vient miauler le soir pour avoir à manger.
Dans la maison : un
perroquet vert et grognon qui a mal à la patte, une tourterelle chauve, un
chihuahua adulte qui fait des sourires affreux et son rejeton de trois mois qui
se prend pour un tigre et court en grondant après la queue de Minouche, un chat
roux qui miaule sans arrêt. À la nuit tombée, il n’est pas rare qu’une chauve-souris
vienne voleter au-dessus des têtes attablées avant de ressortir par on ne sait
où.
On arrive aux Abricots après une bonne heure
et demie de route à partir de Jérémie, bien que les deux ne soient distants que
de 25 kilomètres. Je dis route, mais c’est un chemin de terre semé d’ornières
qui ressemble aux chemins forestiers de mon enfance, ouverts comme des plaies
dans le bois que la compagnie s’apprêtait à raser. Mais ici, dans cette zone essentiellement rurale, les petites maisons carrées coiffées de tôle ondulée s’éparpillent à travers les collines couvertes de manguiers, de bananiers, d’abricotiers et d’avocatiers. On est loin des épinettes noires, disons.
Mica conduit son pick-up 4X4 là-dedans comme
j’ai vu conduire tous les Haïtiens : à tombeau ouvert. Je jure que, deux
ou trois fois, j’ai levé de mon siège comme une crêpe qu’on retourne pour me
heurter la tête au plafond. (Non, pas de ceinture : je serais morte
étouffée.)
Mica a 76 ans, de beaux cheveux gris qu’elle
coiffe en chignon, un regard qui voit à travers les gens comme des rayons X et
une énergie de tous les diables. Il en faut pour faire ce qu’elle fait :
elle a ouvert 200 écoles qui reçoivent près de 4000 enfants dans toute la commune
des Abricots.
Je logerai chez elle pour les quatre prochains
jours ; je sens que je ne vais pas m’ennuyer.
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