Je croyais pouvoir apprendre le créole comme
j’attrape le rhume. Eh ben pantoute, mezanmi. Quand Adèle s’adresse à moi, je
comprends à peu près un mot sur 100. Si je lui demande de répéter plus
lentement, elle répète seulement plus fort. Moi qui suis déjà soud zorey (lisez
à haute voix, vous allez comprendre), ça pourrait aider, mais non, ça ne suffit
absolument pas.
Quand j’essaie de parler, c’est d’abord
l’anglais qui sort (sans doute parce que je lis en ce moment une autre
irrésistible tranche du journal d’Adrian Mole, par Sue Townsend, une écrivaine
britannique dont je ne saurais trop vous recommander l’œuvre mais qui,
contrairement à mes habitudes, n’a franchement aucun rapport avec ce que je
suis en train de vivre).
Si ce n’est pas l’anglais, c’est l’espagnol. Bref, ça ne sort pas.
J’aurais bien aimé pouvoir télécharger un
roman en créole dans mon Kindle, mais que voulez-vous, Amazon n’en est pas là.
J’ai toutefois lu «La case de l’oncle Tom», croyez-le ou non, et j’ai même
réussi à pleurer un peu. Mais comme j’ai sauté les nombreux passages de
propagande pentecôtiste, il ne restait pas beaucoup de viande autour de l’os.
Remarquez, c’est quand même pertinent puisque
ici non plus, il n’y a guère de viande autour des os de cabri (chèvre) qu’on
vous sert. Hier soir, à bout de résistance après un énième repas de riz-pois
collés, j’ai dit à Adèle que je lui donnerais de l’argent pour acheter de la
viande et des légumes. C’est Sarah, ce matin, qui allait à Miragoâne, qui s’est
chargée des courses. Bien que j’aie vu hier au marché les mouches grouiller sur
la viande laissée à l’air libre sans que nul ne semble s’en préoccuper, j’ai
mangé avec appétit ce soir le cabri qu’on m’a servi avec de la semoule de maïs.
J’ai aussi observé Adèle tandis qu’elle
arrangeait les légumes pour demain. Un petit chou bien malingre et tout piqué,
des épinards montés en graine dont elle a épluché soigneusement les tiges et
examiné chaque feuille, des carottes qui goûtent comme celles du potager de mon
père (bien croquantes et sucrées), et ce que je crois être des chayottes. Tout
cela sera mis à bouillir demain pour devenir une sorte de fricassée qu’on
servira peut-être (probablement, même) au petit-déjeuner.
Le concept de repas, ici, n’existe pas
vraiment. On mange à toute heure, quand on a faim, et on mange ce qu’il y a
puisqu’il n’y a pas toujours de quoi. L’idée de s’asseoir tous ensemble à table
pour partager le même plat ne semble effleurer personne. On s’alimente, c’est tout. Je fais donc comme tout le monde : ce
matin, au petit-déjeuner, je n’avais aucune, mais AUCUNE envie de ce plat de
sardines et plantain sauce tomate qu’Elsie a posé sur la table. Mais j’ai mangé
pareil, parce que c’était ça ou rien. C’est peut-être la chose qui me manque le
plus, dans ce pays qui devrait être fertile et riche, et où tous les fruits et
légumes semblent avoir survécu à une guerre nucléaire.
Bon, je voulais parler de la langue, je vous
parle du palais. Drôle, quand même…
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