Lolo a 24 ans. Elle ne parle que créole, d’une
voix douce de petit oiseau. Elle est arrivée vers l’âge de 12 ans dans la famille où nous logeons. Elle est ce qu’on appelle une restavek – une fille qu’on prend chez soi, souvent toute petite, pour qu’elle
s’occupe de toutes les tâches que personne ne veut accomplir dans la
maisonnée : aller chercher de l’eau à la fontaine publique, faire le
ménage, les courses, la cuisine...
À tout moment, Greg appelle :
«Lolo ! Va nous chercher de la bière, veux-tu, chérie ?» Et Lolo
quitte la petite chambre qu’elle occupe au sous-sol, près de l’office, sort
docilement marcher dans ces rues où je ne laisserais pas sortir mon chat et
rapporte de la bière, ou du poulet grillé, ou une carte de téléphone.
Dans cette maison suréquipée (deux fours
micro-ondes, une gazinière dernier cri… dont aucun ne fonctionne), Lolo cuisine
dehors, dans un étroit passage entre le mur d’enceinte et la maison, accroupie
devant un petit réchaud au charbon, et lave la vaisselle de même, dans un bassin de plastique posé à même le sol. C’est là que je l’ai rejointe, un matin de la
semaine dernière, pour lui parler un peu.
Elle ne semble pas se plaindre de son sort. Il
est vrai que, si elle était restée dans sa ville natale, à Jérémie, tout porte
à croire qu’elle n’aurait pas été mieux lotie. Au moins, dans cette famille de
Port-au-Prince, elle a pu fréquenter un peu l’école ; elle vit dans des
conditions probablement plus salubres et mange sans doute mieux que si elle
était restée à Jérémie.
«Que font tes parents à Jérémie, Lolo ?
– Rien.
– Quand es-tu venue à Port-au-Prince ?
– C’est quand mon papa est mort.
– Et tu aimes vivre ici ?
– Oui…»
Elle a les yeux baissés sur son eau savonneuse
et les lève à peine vers moi quand je lui demande :
«Tu aimerais que je te rapporte quelque chose
de la ville ?
– Oui. (Ses «oui» ont un ton presque
interrogatif, comme quand on n’est pas certain de répondre la bonne chose.)
– Qu’est-ce qui te ferait plaisir ?
– Je sais pas…
– Quelque chose de joli pour tes
cheveux ? (Elle fait oui de la tête, les yeux toujours baissés.)
– Ou autre chose ?
– Emmm… Youn mont ? (une montre), dit-elle en encerclant son fin poignet de ses doigts
menus.
– D’accord, Lolo, je vais voir si je peux en
trouver une.
– Mèsi. Epi mwen, kisa m'ka ba ou? (Et moi, que puis-je te donner?)
– Mais rien, Lolo. Juste ton beau sourire.»
Elle sourit, me donne un bisou doux et frais et se remet à la tâche.
– Mais rien, Lolo. Juste ton beau sourire.»
Elle sourit, me donne un bisou doux et frais et se remet à la tâche.
À mon retour, je n’avais pas vu de
marchand de montres. Je le lui ai
dit en lui promettant que je ne l’oublierais pas. «Eh ben OK, dakò», a-t-elle simplement répondu, avec un bon sourire fataliste.
***
Hier jeudi, je lui ai demandé un bassin
pour faire ma lessive. Naturellement, elle m’a proposé de la faire pour moi. Peu habituée à me faire servir, je l’ai remerciée et j’ai dit que la ferais moi-même.
Il ne lui a pas fallu deux minutes pour venir
voir comment je m’y prenais. Elle m’a observée en silence pendant quelques
secondes. Je l’ai regardée, elle m’a fait un petit sourire de légère
commisération en secouant la tête. «Ou pa konnen lave men ?» (Tu ne sais pas laver à la main ?), m’a-t-elle demandé gentiment.
Manifestement, non.
Elle m’a doucement pris des mains un t-shirt
et, d’un geste assuré que j’ai en vain tenté de reproduire sous son regard amusé,
s’est mise à laver en faisant gicler l’eau à travers le tissu.
Quand elle a eu terminé, elle a soigneusement étendu mes petite
affaires et est retournée s'asseoir dans l'embrasure de la porte de la chambre du maître de maison, adossée au chambranle, pour regarder une
mauvaise telenovela mexicaine à la télé.
Dire que je ne lui ai toujours pas trouvé de
montre…
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