lundi 7 décembre 2009

Cuba en vrac

Je ne sais pas si c'est parce que je parle espagnol mieux que dans mes précédents séjours ou si les choses se dégradent vraiment, mais il m'a semblé que les Cubains sont plus désespérés, plus cyniques, plus amers que jamais.
Conversation (en traduction libre) avec X, ingénieur, qui nous emmène à La Havane dans sa voiture, une vieille allemande conservée comme un bijou (si je le nomme, si je donne des détails, si j'en dis plus, il m'a assuré qu'il serait dans la merde jusqu'aux yeux):
LUI: Rien ne fonctionne ici. Tout est un vaste mensonge!
MOI: Mais les écoles? Tous le monde est scolarisé à Cuba, non?
LUI: Tu parles! Mon fils devrait avoir 32 périodes de classe par semaine. Tu sais combien il en a eu la semaine dernière? Trois!
MOI: Mais comment ça?
LUI: Le prof n'était pas là, et il n'y avait pas de remplaçant! Les enseignants préfèrent travailler dans l'hôtellerie. C'est la seule chose qui permet de vivre un peu mieux, et pas parce que c'est plus payant, juste parce que les touristes apportent des cadeaux!
MOI: Et les hôpitaux? On dit qu'aucun Cubain ne paie pour ses soins de santé?
LUI: Il y a des médecins dans les grands centres, oui. Des hôpitaux internationaux équipés à la fine pointe, il y en a quatre ou cinq à Cuba, et très peu de gens y ont accès. Dans les villages, il n'y a que des dispensaires mal équipés, pas de médicaments, rien.
MOI: Mais où va tout l'argent du tourisme, alors?
LUI: Devine...»

Pourquoi les terres ne sont-elles pas cultivées alors que tout pourrait y pousser, pourquoi sert-on dans les hôtels des carottes en conserve venues de Chine dans ce pays si fertile, pourquoi La Havane tombe-t-elle en ruine, pourquoi personne ne peut lancer en paix une petite entreprise, pourquoi Machin ou Chouette ne peut-il pas tout bonnement nous prendre à bord de son auto et nous emmener faire un tour sans craindre la police, pourquoi y a-t-il tant de jeunes Cubains diplômés sans emploi, pourquoi, pourquoi, pourquoi?

L'embargo des États-Unis? Quelle blague! C'est le meilleur prétexte que l'on puisse donner à Fidel pour maintenir son peuple dans cet esclavage absurde. Si on l'abolissait demain matin, on verrait bien que là n'est pas le problème. Le problème, c'est la dictature. Le discours vide. Le mensonge.

Les slogans qui émaillent la seule autoroute du pays, là où nous verrions des pubs de MacDonalds ou de Subways (non que ça me plaise, mais au moins j'ai le droit de dire ouvertement que c'est de la merde), annoncent depuis 50 ans l'avènement d'un temps nouveau qui n'est jamais venu, proclament la gloire d'une révolution en marche alors que ce pays qui aurait tout pour être autosuffisant est exsangue, rendent hommage à la fierté d'un peuple déshonoré parce qu'on le prive de toute initiative et qu'on le réduit à la mendicité.

Je me suis demandé pendant un temps si j'allais revenir dans ce pays qui ne vit que par et pour le tourisme. Mais n'y plus retourner, c'est laisser à l'abandon ces gens si aimables, si fiers malgré tout, si joyeux et si dignes. Alors oui, j'y retournerai.

Atterrir en catastrophe

Dimanche 6 décembre, 15h15, le pilote nous annonce que nous entreprenons notre descente vers Montréal. Je suis debout depuis 6h30: Oriol m'avait dit qu'il ouvrirait le bar un peu plus tôt pour me faire un dernier café, que j'ai savouré en regardant la mer s'agiter sous un ciel d'acier. Il ventait, ça sentait les embruns, il n'y avait personne que moi. Même moi, étais-je vraiment là?

17h, je suis rentrée depuis un petit quart d'heure, le téléphone sonne. «Fabienne? C'est Richard (mon patron). Est-ce que tu t'en viens bientôt?
- Euh... Où ça?
- Ben, on t'attend au journal.
- C'est une blague?
- Mais non, tu es à l'horaire aujourd'hui, Marie-Hélène est en vacances, on n'a personne d'autre à la correction.
- Tu veux rire?
- Non, non... Tu ne pensais pas travailler aujourd'hui?
- Euh... C'est que je viens de rentrer de vacances, tu te souviens? Je suis chez moi depuis 15 minutes. Je devais reprendre le travail demain seulement.
- Ah? Penses-tu que tu peux me dépanner? Je suis vraiment dans la m...
- Bon. C'est bien parce que c'est toi. Je serai là dans une demi-heure.»

J'ai vidé ma valise sur le plancher du vestibule pour trouver quelques indispensables accessoires, laissé le reste épars et sauté dans ma petite auto pour aller défendre le droit du public à une information exempte de fautes d'orthographe. À quoi bon avoir un afficheur?

Ça m'apprendra.