dimanche 6 mai 2007

Il y a un bon Dieu pour les innocents

Figurez-vous que, décalés comme nous l'étions, nous étions convaincus d'avoir un vol pour Paris aujourd'hui lundi. Or, nous nous sommes rendu compte hier à 15h20 que notre avion venait de décoller! Résultat: nous avons dû racheter un billet pour aujourd'hui, ou comment rendre coûteux un vol économique. Mais ç'aurait ou être pire: au moins, il y avait des places.

Alors voilà, nous dormons ce soir à Paris, repartons demain matin pour Roissy et zou! à la maison.

Nous avons passé notre dernière journée à Marrakech à errer dans le souk, pour marchander une dernière paire de babouches, acheter un morceau d'encens, absorber les couleurs du couchant sur les remparts de la ville. Nous nous sommes une fois de plus perdus dans le labyrinthe des venelles qui se ressemblent toutes, avons été tirés de là par un bel ado de 15 ans qui nous a un peu raconté sa vie... Je ne me lasse pas de regarder toute cette jeunesse et cette force de vie -- il faudra bien un jour que le pays en fasse quelque chose.

À la fin de la journée, nous avons bu un verre de lait aux amandes et aux dattes sur une terrasse qui domine la place Jamaa el Fna, là où se pressent badauds, touristes, parieurs, diseuses de bonne aventure, charmeurs de serpents et autres vendeurs d'eau qui sont là pour faire plaisir aux touristes. Même si cette place n'est plus, dit-on, ce qu'elle était, elle nous attire comme un aimant. Les sons, les odeurs, l'atmosphère vous happent et ne vous quittent plus.

Je me suis rendu compte en me relisant que je vous ai à peine parlé d'Essaïd et de sa famille, qui nous ont reçus comme de vieux amis et que nous n'oublierons jamais, et très peu aussi de Hassan et de Zoulikha, de même que de tous ceux qui nous ont fait aimer leur pays, ses contrastes et ses différences.

Aïe aïe aïe. Il faudra que j'y revienne... Ou que j'y retourne.

jeudi 3 mai 2007

Marrakech


Cette ville est un souk géant, une cour des miracles, un miracle en elle-même.

Nous logeons dans un petit gîte familial inconnu au catalogue, caché au fond d'une impasse que même le gamin qui prétendait nous montrer le chemin ne connaissait pas. De temps à autre, il s'arrêtait et demandait à des garçons, qui indiquaient tous en même temps une direction différente. Mais nous avons fini par trouver, et le gamin a lui aussi dédaigné les pièces que nous lui avons offertes en disant qu'elles n'étaient bonnes qu'à acheter des bonbons aux enfants. Moralité: ne jamais sortir sans une bonne provision de pièces de 10 dirhams!  

Enfin. Les proprios de la maison, Fatima et Mohammed (que voulez-vous...), sont charmants.  Notre lit est un gouffre au milieu duquel nous ne pouvons que nous serrer l'un contre l'autre mon amoureux et moi, il y a des tapis et des coussins partout. Nous nous y réfugions avec bonheur après une journée à respirer les vapeurs d'échappement dans les incessantes pétarades des vélomoteurs, à résister aux boniments des rabatteurs, à éviter les collisions avec les bicyclettes, les charrettes à bras, les ânes et les voitures.

Ce soir, nous avons goûté aux escargots dont semblent se délecter les Marocains. Sur la place Jamaa el Fna, plusieurs stands identiques les proposent à un prix identique et préparés d'identique manière. On choisit donc le vendeur qui a la meilleure tête. Les bêtes sont cuites dans un bouillon épicé, et on les sert à la louchée dans un bol - 5 dirhams le petit, 10 le grand. 

Pour tout vous dire, c'est dégueu. Il faut extraire le gastéropode de sa maison (qui est aussi son tombeau) à l'aide du genre de cure-dents qu'on pique dans les club sandwiches. Il y a un bout pas très cuit dans le fond, ça a un goût terreux et une texture... Excusez-moi, mais on dirait une grosse crotte de nez. Bref, on n'a pas tout mangé.

Après, nous avons été kidnappés par un des innombrables garçons de l'un des innombrables comptoirs qui offrent tous la même chose (tagines, couscous, brochettes, salades) au même prix. Encore là, on se laisse séduire par le plus rigolo ou le plus habile. Nous n'avons pas été déçus. La bouffe était quelconque, mais le spectacle!

Parlant de spectacle, je ne vous ai rien dit de celui que nous a offert la route de Taroudant à Marrakech. Je crois que je n'ai jamais rien vu de plus beau. Je vous passe le classique couplet sur le car en fin de vie dépourvu d'amortisseurs (si c'est le prix à payer pour qu'il ait des freins, je veux bien). La route en lacets longe des précipices affolants et ne permet pas à deux véhicules de se croiser, si bien que le chauffeur actionne sans cesse son avertisseur dans les virages pour signaler notre présence. 

Ici et là dans la vallée, des hameaux aux maisons de pisé se fondent dans les ocres des montagnes. Des jardins en terrasses s'étagent partout où l'on peut amener de l'eau, couverts de blé que les femmes (encore et toujours elles) récoltent à la faucille et portent en grosses bottes sur leur dos. À défaut de femme, on voit parfois un âne transporter la récolte. Un homme? Jamais.

Mais ou sont-ils tous donc?

Parlant d'homme, Pierre vient de s'asseoir à côté de moi et me raconte les nouvelles de Montréal pendant que je vous écris (il va me rendre folle). 

mardi 1 mai 2007

Essaïd et Khadija


Ouarzazate, franchement, vous me la donneriez, je n'en voudrais pas. Enfin, on parle pour parler, mais on se demande pourquoi tant de touristes s'y pressent. Bon, oui, la casbah de Taourirt, un incroyable labyrinthe de pièces en enfilade où nous avons failli nous perdre, c'était bien. Mais toute cette poussière! 

Enfin, nous n'y sommes pas restés, ce n'était qu'une étape vers Taroudant, où Essaïd et sa famille nous attendaient. Nous y sommes arrivés fort tard, après six heures dans un car déglingué qui tenait de justesse dans les virages en épingle à cheveux. Nous avons bien regretté qu'il fasse nuit: le paysage était déjà magnifique sous la pleine lune, mais nous aurions aimé le voir en couleur!

À mi-chemin, nous avons fait étape dans un hameau de montagne. Nous sommes descendus du car dans la fumée des braseros où grésillaient les poulets et les brochettes mis à cuire en prévision de notre arrivée.

Les serveurs haranguaient les passagers un peu hébétés qui s'asseyaient au hasard aux tables de plastique. Nous avons mangé du poulet grillé et des lentilles, servis d'autorité avec du pain maison. 

Non loin de nous, un homme a étendu son tapis et fait sa prière au beau milieu du tumulte comme s'il était seul au monde. Je l'ai soupçonné d'avoir voulu donner une leçon à tous ces mécréants: il pouvait quand même se mettre un peu à l'écart, et il avait au front cette marque grande comme une pièce de monnaie (appelée dirham pour cette raison) que se font les dévots à force de se prosterner.

Toujours est-il que, au bout de trois quarts d'heure, le chauffeur du car s'est mis à klaxonner comme un sourd. Tout le monde à bord! Fini, pas fini, nous sommes repartis. Nous sommes arrivés à 1h30 sur la place de Taroudant, où Essaïd nous attendait bravement depuis une bonne heure. Sa femme, Khadija, nous a servi une soupe et du thé avec un sourire à faire fondre un glacier.

Elle trime comme ça du matin au soir, s'occupe des enfants avec une patience et une gentillesse inaltérables; fait la cuisine, la lessive et le ménage et refuse systématiquement que je l'aide. D'ailleurs, quand enfin elle y consent, je me sens empotée comme si je n'avais jamais mis les pieds dans une cuisine.

Hier, nous sommes allés à la plage à Agadir avec les enfants, qui ont joué dans l'eau comme de jeunes chiens. J'ai pris un coup de soleil sur le nez et nous avons eu notre dose de mer, si bien que nous filerons sans regret demain pour Marrakech.

Essaïd nous a emmenés aujourd'hui dans deux des écoles rurales dont il est directeur. Nous avons visité les classes, où les élèves sont assis deux par deux comme chez nous autrefois. À l'arrivée de monsieur le directeur, tous se sont levés d'un seul mouvement, et les tout-petits ont entonné une petite comptine de salutation. En nous voyant, les filles se cachaient derrière leur main pour rigoler, les garçons regardaient en l'air ou se poussaient du coude, c'était chou comme tout.

Nous sommes revenus en «grand taxi», ceux qui font les liaisons régionales, qui ne partent que lorsqu'ils sont pleins. Mais pleins! Quatre passagers derrière, deux devant, plus le chauffeur, le tout dans une Mercedes hors d'âge rafistolée de partout. Par exemple, le compteur de celui qui nous avait menés de Skoura a Ouarzazate était bloqué à 425 800 km. Depuis combien de temps? Telle est la question!

Dans celui qui nous a ramenés à Taroudant aujourd'hui, j'étais serrée entre Pierre et une très grosse dame munie d'un très grand cabas. Le chauffeur a dû s'y reprendre à deux ou trois fois pour réussir à fermer la portière sur nous.

J'avais un sachet de cacahuètes salées que j'ai partagées avec Essaïd, Pierre et la grosse dame, qui m'a souri de toutes ses gencives et quelques dents.

Voilà, nous partons demain pour Marrakech, où nous finirons notre voyage. Je vous récris de là-bas.

B's'lama!