vendredi 10 août 2012

Homard et compagnie

Nous avons mangé avant-hier le meilleur homard qu'il m'ait été donné de goûter dans toute ma carrière de mangeuse de homard. Pêché le jour même par le mari de notre logeuse, sucré, tendre, juteux, cuit à point (le homard, pas le mari!), aaahhh... ce que nous nous sommes régalés! Il faut dire, nous étions en bonne compagnie: ma cousine Lucie et son amoureux, Marc, sont venus nous rejoindre pour deux jours. Un bon repas est toujours meilleur lorsqu'il est partagé, non?

J'ai soigneusement récupéré les carcasses des homards pour en faire une bisque. Le bouillon a mijoté de longues heures sur la cuisinière au gaz. Laissez-moi vous dire que ça vous parfume une maison! À tel point que j'ai laissé ouvertes pour la nuit la porte de la cuisine d'été et celle de la remise adjacente, dans l'espoir de dissiper un peu les effluves de crustacé qui menaçaient de nous imprégner à jamais. Quand il m'a entendue m'inquiéter de ce que des bêtes pourraient en profiter pour s'introduire dans la maison, Marc a dit que la visite d'une mouffette ne serait sans doute pas une mauvaise chose pour améliorer la qualité de l'air. C'est dire. (Il est drôle, Marc.)

Nous avons passé de longs moments à deviser sur les plafonds, les boiseries et l'état général de «notre» maison, à supputer le coût de toutes les rénovations qu'il faudrait y faire, à philosopher sur le désir de propriété qui nous anime tous un jour ou l'autre... Et nous avons convenu que, dans ce cas du moins, il valait nettement mieux rester locataires!

N'empêche, ce coin de pays ne cesse de me séduire. La côte, rocheuse et irrégulière, est toute festonnée de petites anses qui souvent cachent des quais sur pilotis où les homardiers, vers 14 h, viennent décharger leur cargaison du jour.

La forêt capte et condense la brume marine, qu'elle répand en grosses larmes sur des tapis de mousse qui semblent aussi doux que du velours. Dans les jours de brouillard, en forêt, on croit qu'il pleut (alors qu'il n'en est rien sur la plage ou en ville, par exemple), juste à cause de ce phénomène que je n'ai jamais observé ailleurs.

Avant-hier, nous avons marché à travers une de ces forêts, celle sûrement où le Petit Poucet s'est égaré, toute tapissée de mousse émeraude pailletée d'or, pour accéder à un bord de mer magnifique où pullulaient les oiseaux – guillemots, mouettes (à NE PAS confondre avec les goélands, ô citadins mal informés!), sternes et autres huards. Oui, oui, l'eau est glaciale. Mais tout le reste est si magnifique...
























mardi 7 août 2012

Les paradoxes américains

Nous sommes arrivés samedi dans «notre» maison, une belle victorienne construite en 1875 qui a connu des jours meilleurs. Les portes de bois verni ne ferment plus que dans un cri de douleur, le porche aux colonnes de cèdre perd peu à peu sa peinture blanche, les pommiers du jardin ne produisent que des feuilles piquetées par les insectes...
La maison n'est plus habitée depuis la mort, l'an dernier, à l'âge vénérable de 92 ans, de la dame qui en était propriétaire et qui y a élevé ses neuf enfants.
Une maison désertée me serre toujours le cœur. Celle-ci attend quelqu'un qui l'adoptera et la soignera comme elle le mérite. Mais je me demande qui aura le courage de s'embarquer dans pareille galère: tout, ici, est à refaire ou du moins à rénover, de la cave au grenier. Heureusement, nous ne sommes pas là pour ça. Nous n'avons qu'à profiter du temps qui passe et de celui qu'il fait, splendide sous tous rapports.
Nous sommes donc arrivés samedi; la porte n'était pas verrouillée. La maison est pourtant meublée de quelques très beaux morceaux, il n'y aurait qu'à se servir. Mais ici, personne ne verrouille jamais rien, ni voiture, ni maison. Le long des routes, des fermes où l'on vend qui du bois de chauffage, qui du fromage de chèvre, qui des bleuets, mettent leur produit à la vue des passants. Chacun se sert à sa guise et dépose son paiement dans une boîte destinée à cet usage. Il y a parfois là-dedans de coquettes sommes, mais la confiance règne.
Cette confiance, dans un pays où par ailleurs chacun a le droit de se balader avec une arme «pour se défendre», où un forcené descend régulièrement quelques innocents pour une raison obscure et où il est plus facile de trouver un armurier qu'un poissonnier, ne laisse pas de me surprendre chaque fois.
Je n'aime pas les libertarians ni leurs excès, mais je dois dire que certains aspects de cette philosophie, qui veut que le citoyen soit capable de s'occuper de lui-même sans que l'État le materne constamment, me plaisent plutôt. Par exemple, hier, nous sommes allés nous baigner dans un étang assez fréquenté par les locaux. L'endroit est délicieux, bordé de roseaux, orné de grandes îles de nénuphars, et l'eau y est plus douce que la plus douce des eaux de rose. Mais surtout, aucune enfilade de bouées gardée par un pseudo-sauveteur tout imbu de sa jeune autorité ne vient limiter l'aire de baignade. Tu sais nager? Vas-y. Tu ne sais pas? Arrange-toi pour ne pas perdre pied. Tu as des enfants? Occupe-t'en.
La propriété privée est une véritable religion, et accéder au bord de mer dans cette île assez petite demeure une croisade, car la plupart des chemins qui y conduisent sont marqués Private. Mais la vie communautaire est d'une richesse inouïe: associations de protection de l'environnement, sociétés historiques, chambres de commerce, soupers communautaires, renseignements touristiques, tout fonctionne grâce au bénévolat. Ça m'épate toujours.
Justement, hier, nous sommes allés faire une balade d'observation d'oiseaux en bord de mer avec une société d'ornithologie animée par des bénévoles. Nous y avons observé les habituels hérons, bécassins, sternes, chevaliers, guillemots, pluviers et autres cormorans, avec en prime un pygargue et un couple de balbuzards. Rien de très exotique, mais c'est toujours beau à voir. Et comme toujours, la faune des birdwatchers était presque plus intéressante que le sujet même de nos observations!
Je vous mettrai des photos demain. Là, la pile de mon ordi est en train de mourir.



vendredi 3 août 2012

L'autre Maine (et un peu de Vermont)

Nous voici dans un petit motel près de la ville d'Augusta (prononcez «Agosta»), après quatre heures de route dans des chemins qui tournicotent à travers les montagnes et les forêts, et qui traversent de petites villes aux noms étranges: Mexico, Peru, Canton... Sans doute pour ça que 80% des Américains n'ont pas de passeport: ils font le tour du monde rien qu'en se perdant dans le Maine profond!
Tout de suite après avoir passé la frontière à un minuscule poste où l'unique douanière SOURIAIT et PARLAIT FRANÇAIS (jamais vu ça aux États-Unis), nous sommes entrés dans un village, Canaan, où il y avait une petite foire. Une bannière disait: «Sugar on Snow». J'ai cru que c'était le nom du groupe qui jouait du blue grass et du country sur une petite estrade, mais non: on servait bel et bien de la tire d'érable sur la neige! Un monsieur dépose sur une assiette de plastique une pelletée de neige contenue dans une vaste caisse de bois, un autre monsieur vous met une louchée de tire fumante là-dessus, et hop! On déguste. C'est, je suppose, l'équivalent vermontois du Noël du campeur.
Le garage de Canaan (Vermont).

Après une pause qui nous a permis d'apprécier la cuisine du Family Restaurant local (pas ça qui va faire baisser le taux d'obésité), nous avons poursuivi notre route par monts et par vaux. Un cerf nous a placidement regardés passer, puis, quelques milles plus loin, un tout jeune orignal tout en jambes, comme un grand ado dégingandé, nous a brièvement salués avant de rentrer dans le bois en trottinant de travers.
La presque pleine lune, son visage désolé comme celui d'une pietà, nous a ensuite montré le chemin jusqu'à ce petit motel fréquenté par des pêcheurs. Nous repartirons tôt demain, direction Deer Isle, un coin de pays ignoré des touristes, où la côte est rude, les villages intacts, les gens adorables et le homard en pleine saison. Nous avons loué là la maison de mes rêves, nous y serons demain en matinée. Joie, allégresse, bonheur et volupté.
En attendant, il y a Mississippi Burning à la télé, oups, non, un preacher qui s'égosille, ah, non, les Jeux olympiques (mon amoureux zappe frénétiquement, c'est imparable)...
Je ne pourrais pas me sentir en vacances plus que ça.


samedi 28 avril 2012

Le piège à cons

En route pour Cadix, nous nous sommes arrêtés à Jerez, où l'on produit cet élixir méconnu et fort prisé des Anglais, j'ai nommé le xérès. Nous avions lu qu'il y a des bodegas (lieu de fabrication du jerez) à tous les coins de rue et, dans le quartier gitan, plusieurs peñas et tabernas où voir de bons spectacles de flamenco.

Tout contents d'être heureux, nous nous sommes trouvé une chambre in extremis dans un petit hôtel tenu par un immense Colombien aussi noir que bourru, et nous avons fait une sieste réparatrice. Nous sommes ressortis vers 21h30, direction le quartier gitan, où les spectacles commencent vers 22h. Marche, marche, on arrive là... euh... On aurait dit Windsor (Ontario) un lundi soir de hockey! Pas un chat dans les rues, le bar qu'on visait lamentablement fermé, les autres introuvables... Où donc est cette Espagne festive qui ne se couche jamais avant l'aube?

Nous allions rebrousser chemin lorsque nous avons entendu des claquements de talon caractéristiques. Tac-tacatacatac-tac tac! Cela venait de la Taberna flamenca, une ancienne bodega au plafond aussi haut que celui d'une cathédrale, que l'office du tourisme présente comme l'un des hauts lieux de l'art flamenco à Jerez. Joie, joie! À l'intérieur de cette très belle salle, quelques clients attablés, un groupe de personnes sur scène, une femme qui danse avec fougue, bras levés... Trop contents, nous nous sommes assis, on nous a proposé des tapas, une coupe de vin, 20€ par personne. Oui, oui, on veut tout! Au diable la dépense!

Deux assiettes, de carottes et de betteraves marinées, ont fait leur apparition sur la table, avec un petit panier de pain et je ne me souviens plus quoi d'autre (j'en déduis que c'était au moins aussi oubliable que les carottes et les betteraves).

Sur scène, une (très) grosse dame avait remplacé la première. Elle s'égosillait en faussant et en esquissant quelques pas pendant que ses compagnons enterraient allègrement, de leurs claquements de mains et de talons, le son de l'unique guitare, dépourvue d'amplificateur.

Après, un homme s'est levé, s'est drapé dans une écharpe (sans doute pour camoufler sa bedaine) et s'est mis à danser en faisant de temps en temps de petites passes de toréador avec son écharpe. Je suppose que c'est de ce genre de démonstration que se sont inspirés Goscinny et Uderzo pour Astérix en Hispanie.

C'était... comment dire?

J'en ai regretté les joyeux moments que nous proposait Soirée canadienne à Télé-Métropole.

Mais bon, il n'y avait pas que des mécontents: une vaste tablée de ce qui sous a semblé des Russes aussi ivres qu'enthousiastes se levait après chaque chanson, comme si l'on assistait à la performance du siècle.

Au bout d'une heure pile de ce morceau d'anthologie, les Gitans (?) ont quitté la scène sous les applaudissements nourris des spectateurs qui l'étaient moins. Tout était consommé, ou presque: un Russe a versé en tremblant ce qu'il restait d'un verre dans un autre, qu'il a dissimulé sous son manteau avant de se diriger en titubant vers la sortie avec son groupe de joyeux compagnons. La salle s'est vidée, nous avons terminé la bouteille de vin que nous avions fini par commander pour oublier notre déconvenue, et nous sommes sortis à notre tour.

Sur le chemin de l'hôtel, nous avons fait une halte à un bar où nous avons rencontré un jeune couple qui dansait divinement la sévillane. Il y avait avec eux un homme édenté du nom de Fran, qui m'a montré à taper de trois doigts dans la paume de l'autre main pour que ça claque bien. Il chantait magnifiquement, n'avait pas le sou et n'a accepté nos tournées qu'avec hésitation. Digne, généreux, gentil comme tout, il nous a fait passer une superbe fin de soirée et s'est discrètement éclipsé quand nos deux jeunes amis, très courtois, nous ont raccompagnés à pied jusqu'à notre hôtel.

Comme quoi, hein...


jeudi 26 avril 2012

Folies sévillanes

Séville, Séville... On entend des castagnettes, des accords de guitare, le murmure d'une fontaine; on imagine de somptueux palais, des grilles de fer forgé, des venelles fleuries...

Oui, oui, clichés, mais pas tant que ça (les clichés ont quand même souvent un fondement, non?). Sauf  que, en ce moment, il n'y a pas moyen de trouver un bar où l'on présente du flamenco: tout le monde se retrouve dans un parc un peu en dehors du centre historique, lieu de la Feria de Abril.

Pour savoir où c'est, facile: on suit une grappe de jeunes femmes en robe flamenca, la fleur piquée au sommet de la tête comme une antenne parabolique, les franges du châle et les volants qui se balancent au rythme de leurs pas pressés.






Elles s'arrêtent volontiers dès qu'on pointe vers elles un appareil photo et prennent la pose, très maquillées, très apprêtées, puis repartent du même pas. Des autobus remplis de jeunes femmes toutes pareilles et toutes différentes nous dépassent, et aussi des taxis, et encore des calèches, attelées de deux, parfois quatre chevaux superbes, menés par des cochers impeccablement élégants. Tout le monde, vous dis-je, s'en va à la Feria.

Et là... là! La folie, mes amis! Plusieurs milliers de personnes s'entassent dans des centaines de casetas, sortes de petits chapiteaux commandités qui par une entreprise, qui par une association, qui par un parti politique. On y va pour boire et manger, écouter et danser le flamenco, mais surtout, d'après ce que nous avons compris, pour voir et être vu.

Dans les allées, un flot incessant de calèches rutilantes et de caballeros sanglés dans leurs habits de fête, une belle toute poudrée en croupe, fait lever une poussière jaune qui colle aux visages en sueur sous le soleil implacable. Il y a autant de gens dans les allées que dans les casetas, parce que n'entre pas là qui veut. Il faut y être invité, faute de quoi on reste debout, à boire ce qu'on a apporté. Les jeunes trimballent des sacs de plastique avec le nécessaire: une bouteille de deux litres de 7-Up, un litre de vin blanc, des glaçons. Ils ont tous à la main, garçons et filles, de vastes gobelets de plastique remplis à ras bord de ce mélange.

Après nous être remplis de ce spectacle, nous sommes sortis de l'enceinte pour retourner vers le centre-ville. Aux abords du parc, les trottoirs, les rues, les ruelles, les terrasses s'étaient remplies de monde. Une dizaine de femmes d'une soixantaine d'années, toutes en falbalas, assises autour d'une table non loin de celle où nous nous étions posés pour la sainte bière de 17h, chantaient et dansaient tour à tour, fort élégantes, joyeuses, belles à voir.

Pendant ce temps, le centre-ville est abandonné aux touristes, Français pour la plupart, mais aussi, bien sûr, Japonais en grappes qui se prennent mutuellement en photo devant n'importe quoi, et qussi quelques Allemands. La ville est splendide, ses monuments fastueux (l'Alcazar m'a largement consolée de n'avoir pu visiter l'Alhambra), mais il y manque l'âme de Malaga, par exemple. Comme Florence, c'est une ville-musée désertée par ses habitants, où l'on pratique des prix prohibitifs pour une nourriture moins bonne qu'ailleurs.

Nous sommes donc bien contents de nous être rabattus sur Carmona, à une trentaine de kilomètres de Séville. C'est une très ancienne ville ceinte de murailles qui datent des Carthaginois, où nous logions dans une maison vieille de 700 ans (excusez du peu).

Hier soir, avant d'y retourner, nous avons pris un verre dans un café où un écran de télé montrait la corrida du jour. Rien à faire, je ne m'y habituerai jamais. J'ai eu beau me rappeler les paroles de ma chère Françoise, camarguaise amatrice et connaisseuse de tout ce qui touche les chevaux et les taureaux, qui dit que c'est pour la bête une mort glorieuse et noble, je trouve inhumaine cette façon de harceler un animal jusqu'à l'épuisement pour l'achever d'un coup d'épée entre les omoplates. Que voulez-vous, je suis une grande sensible.

Nous partons tout-à l'heure pour Cadix, dont on dit le plus grand bien. Je tâcherai de vous mettre des photos la prochaine fois.

Hasta luego!


samedi 21 avril 2012

La maison

La maison où nous logeons date de 300 ans selon sa propriétaire, une Britannique qui l’a rénovée avec amour. On la croit : les portes y sont si basses qu’il faut se pencher pour les passer. Pour monter l’escalier sans se cogner cruellement la tête, il faut adopter une démarche mi-crabe, mi-chimpanzé, mi-chien battu (OK, je sais, ça fait trois demies, mais nous sommes en Espagne, que diable). Donc : aller un peu de guingois tout en se courbant pour passer le plafond du rez-de-chaussée, puis aborder précautionneusement le virage des cinquième et sixième marches sans oublier le plancher du second étage, qui, à 60 cm de là (toutes les cloisons porteuses font au moins 60 cm d’épaisseur), vous guette sournoisement au moment même où vous relevez fièrement la tête, tout content d’avoir échappé au premier piège et confiant en l’avenir. PAF ! Ce n’est pas un endroit pour les distraits.

Inutile donc de dire que mon amoureux commence à avoir le crâne tout cabossé. Nous imaginons les voisins éclater de rire chaque fois qu’ils entendent «Boum… AÏE !» (et, dans notre cas, tous les mots d’église qui suivent, en chapelet, en cascade, en litanie et en points d’exclamation).

Pierre qui ouvre la porte de «notre» maison.
Il y a donc, au rez-de-chaussée, la cuisine et le séjour. Et l’escalier meurtrier qui mène à l’étage, où se trouvent la salle de bains et une chambre avec lits superposés. De là, une autre volée de marches, tout aussi traîtresse que la première, mène à la chambre principale et à une terrasse qui a vue sur le clocher, les toits de tuiles ocre et les montagnes violettes, au loin.

Nous passons notre temps à oublier ceci ou cela en haut ou en bas (donc à nous cogner le crâne à intervalles irréguliers), et à monter ou descendre les étroites venelles de ce village pentu pour faire quelques courses dans ses échoppes minuscules : une bouteille de bon vin d’Espagne à 2,80€, un grand pot d’olives cassées à 2,70€ ; quelques tomates mûres à souhait, un gros oignon encore plein de terre ; deux cuisses de poulet fermier désossées et marinées dans l’huile d’olive, du jambon serrano tranché pas égal par le boucher lui-même, que sa femme est allée chercher parce qu’elle dit qu’il le fait mieux qu’elle ; un genre de rillettes de porc tellement délicieusement pas bonnes pour la santé qu’on n’oserait presque pas en redemander si ce n’était pas si bon… Oh ! Dios mio ! moi qui espérais perdre un peu de poids !

Demain, nous partons pour Cordoue, dont j’espère qu’elle ne me décevra pas autant que Grenade. Il est vrai que nous avons fait quatre heures de route aller-retour pour ne visiter que l’extérieur de l’Alhambra. Les visites sont extrêmement contingentées et il faut réserver longtemps d’avance pour voir l’intérieur du palais. Même en cette saison, tout était complet. Nous étions très déçus, mais nous nous sommes rabattus sur une visite qui comprenait les jardins et surtout des ruines, à l’exclusion des palais les mieux préservés. Nous en avons toutefois vu des photos, et nous nous sommes consolés en nous disant que le Maroc nous avait offert infiniment plus. L’Alhambra est certes un beau vestige, et il est intéressant par cela même, mais peut-être y a-t-il un léger excès dans l’exploitation qu’on en fait. Quoi qu’il en soit, rien que les jardins et les ruines montrent le raffinement absolu de cette civilisation, et rien que pour cela je suis contente d’avoir vu ce que j’ai vu. Mais bon, maintenant, je rêve de Cordoue et de Séville, que voulez-vous…
Mon amoureux devant les paysages de Grenade.

Les veux du village, qui discutent le bout de gras toute la journée, changeant de banc
pour rester à l'ombre  le jour, et pour prendre le soleil du soir.

Les futurs occupants des bancs de la place.

Une rue de Competa, un autre des villages blancs, tout semblables au nôtre,
qui émaillent les contreforts de la Sierra Nevada.



vendredi 20 avril 2012

Grenade

Aujourd'hui, nous avons quitté tôt notre village pour filer à Grenade, où nous allions visiter l'Alhambra, une ville mauresque dans la ville espagnole. L'héritage arabe est partout en Andalousie, malgré les efforts des catholiques pour en détruire les traces. Quand on voit ce qu'il en reste, on se dit que les sauvages ne sont pas du tout ceux qu'on pense, non monsieur. Raffinement des mœurs, de l'architecture, du savoir, de la civilisation...


Songez que, pendant les huit siècles du règne almudejar, chacun avait le droit de pratiquer sa religion et de vivre selon sa conscience, et que quand les catholiques ont fini par vaincre les musulmans, ils ont rasé les mosquées, brûlé des dizaines de milliers de livres et chassé des savants, des poètes, des artistes qui avaient façonné le visage de l'Andalousie, pour y substituer l'Inquisition, l'obscurantisme et l'ignorance.

Cela fait que, moi qui entre toujours volontiers dans les églises des pays que je visite, je les ai tout à coup regardées autrement, ces prétentieuses cathédrales espagnoles, bien souvent dorées de l'or volé aux Incas, avec leurs Christs sanglants, leurs vierge Marie éplorées vêtues de brocart, leurs scandaleux trésors – ostensoirs ostentatoires, reliquaires d'or et d'argent sertis de pierreries qui recèlent prétendument la troisième phalange du petit doigt de saint Machin ou une dent de lait de sainte Chose...

Enfin.

Cauchemar immobilier

Pour se rendre à Grenade, il faut longer la Costa del Sol, un carnage immobilier dont je n'ai vu l'équivalent nulle part ailleurs dans le monde. Côté mer, les villages de pêcheurs qui émaillaient la côte dans les années 50 ont été écrasés sous le pas des bulldozers et remplacés par de hideuses barres hôtelières, puis par de faux châteaux qui gagnent peu à peu les collines environnantes.

Heureusement, il reste encore des cultures en terrasse dans ces collines, occupées et cultivées depuis des siècles, voire des millénaires. Pas une qui n'ait été aplanie en multiples escaliers, un patient travail qui ne cesse de m'impressionner. Y poussent citronniers et orangers (en ce moment chargés de fruits), avocatiers et manguiers, oliviers en quantité bien sûr, plus des vignes curieusement rabattues à ras le sol, quand ce ne sont pas des serres, aussi au ras du sol, qui s'étendent à perte de vue. Et pendant qu'on regarde ce paysage quasi désertique par ailleurs, où prolifèrent les cactus et les palmiers, les hauteurs couvertes de neige de la Sierra Nevada étincellent au soleil.

Curieux pays que celui-là, où je reconnais un peu de l'Italie, beaucoup du Mexique et du Maroc, et qui a tout de même une personnalité bien à lui. Prenez la coutume des tapas. Suis-je bien tombée, moi qui suis constamment obsédée par la nourriture et totalement agnostique: ici, c'est une religion, la seule qui m'importe vraiment. Boire sans manger, en Andalousie, ça ne se fait pas (le contraire non plus). C'est heureux. Les bonnes choses sont là, sous votre nez, sur le comptoir, à température pièce (de quoi faire frémir les inspecteurs de Santé Canada): salade russe, anchois à l'escabèche, chorizo, jambon pata negra (comme du serrano, mais en mille fois meilleur, plus fin, plus doux, plus tendre et plus sucré que tout ce que vous pourriez imaginer) et autre ragoûtants ragoûts que vous ne sauriez nommer, mais qu'on se fera un plaisir de vous faire goûter.

Oui, parce que, en plus, les gens sont ici d'une gentillesse, d'une affabilité, d'une courtoisie absolument délicieuses.

Alors que voulez-vous? Même si Grenade nous a un peu déçus, nous sommes là, sur la terrasse de notre petite maison de 300 ans, à regarder le soleil se coucher derrière le clocher du village pendant que les hirondelles commencent leur ballet, et nous sommes heureux.

Dimanche, nous partirons probablement pour Cordoue, puis nous irons voir Séville en pleine effervescence pour cause de feria: corridas, chevaux, flamenco. On ne va quand même pas rater ça...

dimanche 15 avril 2012

¡Viva España!

Une rue du village de Canillas de Aceituno,
où nous allons passer une semaine... ou deux?
Ça s'est décidé mercredi dernier. Mon nouveau passeport est arrivé d'Ottawa ce jour-là, alors que je ne l'attendais pas avant la fin de la semaine, voire le début de la semaine d'après. Je n'ai fait ni une, ni deux: j'ai écumé les sites de ventes de billets d'avion, j'ai trouvé une aubaine pour Málaga, en Andalousie. Nous avions déjà prévu deux petites semaines de vacances fin avril mais, vu que mon passeport était lui-même en voyage, nous n'avions pas de vrai plan, sauf peut-être une virée vers Washington DC.
– Allô, chéri? L'Espagne, ça te dit?
– Euh... Pis Washington?
– Au diable Washington! J'ai trouvé un aller-retour Montréal-Málaga sans escale pour 600$ toutes taxes incluses, départ lundi prochain.
– Lundi prochain? Dans cinq jours?
– ¡Si señor!

Ça fait qu'on part demain.

J'ai trouvé une adorable maison à louer dans un petit «village blanc», niché au milieu de collines couvertes de vignobles et d'oliveraies. De là, nous comptons explorer la région, peut-être pousser jusqu'à Cordoue, Grenade, voire Séville. Mais ça fait quand même beaucoup de route, mon amoureux est absolument crevé, et le village semble si adorable que nous pourrions bien nous «contenter» de microtourisme.

À nous tapas, xeres, flamenco et autres bonheurs!

Photos, histoires et anecdotes à venir.

Hasta luego,

Fabiana

mercredi 4 janvier 2012

Chez ma soeur (bis)

Voilà, c'est fini, je suis rentrée hier. Comme d'habitude, tout ça a passé bien trop vite. Pour clore la semaine en beauté, nous sommes allés jouer aux quilles mardi soir avec une famille amie de celle de ma soeur. Les garçons, Tashy et Shey, ont le même âge que Samuel et Eric; Jackie et Paula sont les meilleures amies du monde.
Nous avons bien rigolé.
Ce n'est pas pour me vanter, mais ces sportifs extrêmes, ces skieurs de choc, eh bien, ils ne valent pas tripette quand il s'agit de passer aux choses sérieuses, et j'ai nommé les petites quilles, mesdames et messieurs. Je les ai tous battus à plate couture. Il faut dire que j'ai joué avec tellement d'ardeur que je me suis presque foulé une jambe. (Quand je dis que le sport, c'est dangereux!)
En tout cas.
Après, nous sommes allés chez Jackie et John, qui habitent une maison comme je crois n'en avoir jamais vu. Il y a tellement d'objets, de choses, de trucs et de machins partout, on pourrait rester assis là pendant des heures juste à regarder autour de soi et on s'y trouverait bien.
Il y avait du vin chaud et un gâteau d'anniversaire en forme d'ordinateur pour Tashy, l'aîné des garçons.
(Bon anniversaire, Tashy!) 
Les joueurs, avant le carnage.

Dave, un ami et voisin, vise avec soin un dalot.

Moi-même, après un de mes lancers de précision.

Paula, en train de réaliser l'un de ses célèbres dalots.

Contre mauvaise fortune bon coeur...

Maudine, encore un dalot!

«P'pa, joue!
–Oui, oui, mais y a une partie de hockey, là-haut...»

Je t'ai bien eue, hein, ma sœur?

Éric, songeur... «Aurais-je pu réussir cet abat?»

Jackie dans sa maison-capharnaüm.
Le lendemain matin, Paula m'a déposée à l'arrêt de la navette pour Kelowna; nous avons, comme de raison, essuyé quelques larmes, j'ai balancé mon sac dans la fourgonnette, et hop! En route!

Comme il avait neigé une bonne partie de la nuit, je craignais (j'espérais?) qu'il y ait des contrôles d'avalanche sur la route (on interrompt la circulation pour provoquer les avalanches avant qu'elles ne causent des catastrophes, ce qui peut entraîner d'importants retards).
Si j'avais raté mon avion, ça n'aurait été qu'une illustration de la raison pour laquelle Revelstoke porte entre autres le surnom de «Revelstuck»... et ça m'aurait peut-être donné une journée de rab avec ma sœur.
Mais non: tout s'est bien passé.
Je suis donc rentrée hier soir très tard, après une longue journée de transbordements Revelstoke-Kelowna-Vancouver-Montréal. Après l'avion, le train-train. Jusqu'au prochain départ...

lundi 2 janvier 2012

Chez ma sœur

Une semaine que je suis chez ma sœur, je suis à moitié morte.

Tous ses amis skieurs émérites me disent la même chose: aucun ne peut  suivre Paula. C'est comme dans tout: elle nous fatigue! Elle se lève à 7h chaque matin (8h les jours fastes), descend au sous-sol allumer le feu dans le poêle à bois (et pour cela fend quelques bûches, TCHAC!, comme si de rien n'était), prépare le déjeuner pour sa tribu et les sandwiches du midi, houspille son distrait de mari, lave la vaisselle, s'habille, démarre le camion et file à la montagne pour skier des pentes dont vous n'avez pas idée. Elle m'a emmenée aujourd'hui faire un tour même pas jusqu'au sommet, en téléphérique. Elle est gentille, elle devait avoir les skis qui la démangeaient, mais non: juste un tour de téléphérique avec sa sœur, comme une touriste.
Pas chaud, en haut de la montagne!
Suis-je heureuse de connaître mes limites! Eussé-je écouté mon Pierre, je me serais peut-être aventurée dans cette montagne à la dénivelée invraisemblable. Au lieu de quoi, pendant que tous ils risquent leur vie au mépris des dangers d'avalanche (encore un mort hier), je sors marcher un peu au centre-ville, je fais des gâteaux ou du pain aux bananes et je cuisine des petits plats pour le plaisir de voir mes deux neveux bâfrer comme des ogres, ma sœur se réjouir d'avoir une housewife à la fin de sa journée de ski et mon beau-frère se rendre compte que, au fond, il aurait mieux fait d'épouser une femme qui n'aime pas le sport (on rigole, hein, ma sœur cuisine divinement, mais elle aime mieux le ski, alors que je skie très médiocrement et que j'aime mieux cuisiner – chacune ses plaisirs.)

Hier soir, veille du jour de l'An, il y avait une partie de broomball, ou ballon-balai, à laquelle voisins et amis sont convoqués depuis quelques années par un jeune couple.
La chose se passe dans le grand dehors, chacun étant invité à apporter un authentique balai de bois (le plastique est interdit, on sait vivre!), sa tasse pour le cidre chaud à la cannelle, des bouchées ou des sucreries pour la joie de l'estomac. Jeunes et vieux se mêlent à une partie anarchique de ballon-balai dans la rue, il y a un grand feu où se réchauffer, les chiens et les enfants couraillent entre les jambes des grandes personnes qui placotent en anglais, en français, en franglais (parfois dans la même phrase) sur fond de musique à tue-tête.
À minuit, des feux d'artifice fusent d'un peu partout dans le voisinage, on se souhaite la bonne année, c'est absolument, complètement et tout à fait sympathique.
J'adore le côté boomtown de Revelstoke, ses jolies maisons centenaires au toit pentu couvert de tôle pour faciliter le glissement de la neige, ses deux petites rue commerçantes où il y a plus de magasins de vêtements de sport que dans n'importe quel quartier de Montréal, les montagnes qui l'entourent comme des gardes du corps (d'un côté, la chaîne des Selkirks, de l'autre les Monashees), la gentillesse toute simple de ses habitants... Je n'y vivrais pas, mais je comprends ma sœur de s'y être établie.

Voilà, je vous souhaite à tous une très belle et bonne année 2012, remplie de tout ce que vous aimez. Comme, jusqu'à un certain point, il n'en tient qu'à nous que ce soit le cas, je vous (et me) souhaite surtout l'énergie joyeuse que j'admire chez ma sœur. Ça devrait réussir.