dimanche 29 avril 2007

De Tineghir à Ouarzazate


En fin de compte, et comme je m'y attendais, notre ami Hassan ne s'est jamais présenté au  rendez-vous le lendemain de notre rencontre. Aussi bien, nous n'avions pas vraiment besoin d'un guide: la piste, qu'empruntent régulièrement les nomades de la montagne et les touristes, est parfaitement balisée par le crottin des mules. On n'a qu'à suivre.

Nous  avons fait une superbe randonnée de quatre heures à travers un paysage de roc rouge piqueté de thym sauvage et de petites fleurs, c'était grandiose.

À mi-chemin de la boucle, une famille de nomades a judicieusement installé son campement dans une jolie vallée et offre le thé aux randonneurs contre quelques dirhams. 

Une fillette au visage à demi dissimulé derrière un voile noir est venue à  notre rencontre, un chevreau de quelques jours dans les bras, toute prête pour la photo. Sa grande sœur, âgée de 12 ou 13 ans, a préparé le thé avec une remarquable économie de moyens, de gestes et d'espace. Elle a sommairement lavé des verres rangés dans une boîte de métal, allumé quelques brindilles sous une antique bouilloire noire de suie, cassé avec une pierre quelques morceaux de sucre précieusement rangés dans une autre boîte de métal et mélangé au thé des brins de thym. 

Son petit frère, un gamin de 3 ans, nu-fesses sous son long chandail crasseux, faisait le pitre en jouant avec la lame ébréchée mais néanmoins fort pointue d'un vieux couteau, ce dont personne à part nous ne semblait se préoccuper.

La maman, allongée dans un coin à l'écart, allaitait un minuscule nourrisson de quelques jours. La conversation était bien sûr limitée : la petite ne parlait que berbère, et mes huit mots d'arabe n'éveillaient rien chez elle. Le thé bu, nous lui avons remis quelques dirhams, et elle nous a confirmé d'un ample geste l'endroit où reprenait la piste.

Nous avons poursuivi notre chemin vers la palmeraie et le village, qu'un petit Mohammed de 10 ans beau comme un cœur nous a fait traverser en babillant dans son français de gamin des rues. À la fin, il a noblement refusé les 10 dirhams que je lui tendais. Il en voulait 15! J'ai fini par déposer la pièce sur le sol, et il l'a ramassée prestement, mais sans un merci. On a sa fierté.

De retour à Tineghir, nous avons attrapé un car vers Skoura, où j'avais l'adresse d'un gîte tout à fait sympa. Dans le car, nous avons lié conversation avec un couple qui rentrait chez lui avec ses deux enfants. Le père, Hassan, a fini par nous inviter, et nous avons accepté. 

Nous avons donc débarqué à Kelaa, un peu avant Skoura. La famille habite un trois-pièces tristounet au sol de béton, dont les deux seules fenêtres donnent sur la place de la ville. J'ai préparé le couscous avec Zoulikha dans sa cuisine rudimentaire, équipée d'un brûleur directement monté sur la bonbonne de gaz et d'un évier muni d'un unique robinet d'eau froide. 

Nous avons mangé avec les doigts, à la marocaine, dans la pièce de séjour où la télé joue en permanence. Les enfants étaient hypnotisés par une émission américaine, celle où Barney, ce gros dinosaure mauve et ridicule, s'agite en compagnie de gamins parfaitement blonds et en santé dans un décor de carton-pâte. C'était surréaliste.

À la fin de la soirée, les petits m'ont regardée avec curiosité me brosser les dents, chose qu'ils n'avaient manifestement jamais vue. Leurs pauvres petites dents déjà cariées le confirment hélas éloquemment...

Le lendemain, je suis allée au hammam (bain public) avec Zoulikha, qui m'a  vigoureusement étrillée au gant de crin après que je me fus enduite d'un savon noir à base d'huile d'olive et à texture de vaseline. Autour de nous, des tas de filles et de femmes se frictionnaient mutuellement, se brossaient longuement les cheveux ou, pudiquement tournées vers le mur, se rasaient le sexe avec soin («sinon, le mari n'aime pas ça», m'a expliqué Zoulikha). Le harem comme si vous y étiez!

Nous avons finalement dormi hier soir au gîte Chez Slimani, charmante maison rustique qui n'a l'électricité que depuis peu. Murs de pisé, jolie cour intérieure, terrasse avec vue sur la palmeraie… Notre chambre est pourvue de deux fenêtres par lesquelles ne nous parviennent que le chant des oiseaux et des grenouilles, le braiment neurasthénique d'un âne ou le bêlement des chèvres.

Nous aurions bien dû y rester un jour de plus puisque nous avons raté le bus Ouarzazate-Taroudant. L'étape de Kelaa a en outre été fort coûteuse pour Pierre, qui a semé en route son lecteur MP3, sa précieuse casquette et son canif. Il a en plus oublié son chargeur de piles chez M. Slimani, qui heureusement s'en est rendu compte assez vite et nous a rejoints en moto pour nous le rendre. Enfin, si Pierre a encore ses lunettes de soleil, c'est parce que le garçon du café où nous avons mangé tantôt lui a couru après pour les lui remettre. Je crains maintenant qu'il ne m'oublie en route, je ne le quitte plus d'une semelle.

Nous essayons de trouver un vol de retour pour Paris, mais internet est d'une lenteur de tortue. Mon amoureux sacre et soupire comme un pousseur de charrette à bras. Je vais voir si je peux l'exaspérer un peu plus.

mercredi 25 avril 2007

Désert


Salam oualeikoum,

Nous avons quitté Merzouga ce matin, un petit village au bord du désert, tout près de la frontière algérienne. Il y a une palmeraie avec des jardins communautaires chichement arrosés par un filet d'eau, dont la source se trouve à quelques kilomètres. Chacun a droit à une heure d'eau par jour. On y cultive des dattes, des olives, du blé pour faire la semoule et le pain, qu'on fait cuire dans un four à bois communal. 

Les maisons sont toutes en pisé, et une bonne partie d'entre elles ont été emportées par un orage en mai dernier. Le village a un petit air d'abandon, mais les hôtels, les maisons d'hôtes et les marchands d'artisanat y prolifèrent -- le tourisme est la première source de revenus dans ce coin perdu. Nous avons d'ailleurs été harponnés dès notre arrivée par Ali, un Berbère aussi fier que futé à qui je n'ai pu faire autrement que d'acheter un tapis après des négociations qui feraient pâlir d'envie nos chefs syndicaux (ils devraient songer à embaucher des Marocains).

Nous avons visité les dunes de l'erg Chebbi le lendemain (hier) avec Ahmed, un pince-sans-rire qui connaît le désert comme la paume de sa main. Il nomme chaque plante et en décline les vertus médicinales; quitte soudain la piste sans raison apparente pour bifurquer vers une autre piste qui apparaît comme par magie sous nos yeux éblouis par la lumière crue... Les dunes ocre et brillantes s'élèvent comme un mystère au milieu d'une vaste plaine de roches noires, on se croirait sur la lune. Ahmed nous a emmenés dans un lieu ou on trouve des fossiles à la pelle; c'est ahurissant. Il n'y a qu’à se baisser et on les cueille comme des fleurs.

Puis nous avons laissé la Land Rover au pied d'une dune et nous avons marché dans ce sable aussi fin qu'une poussière d'or, brûlant comme des braises, jusqu'à une oasis plantée là comme un caprice. Nous avons pique-niqué à l'ombre d'une tente berbère, fait une petite sieste, discuté autour de l'inévitable thé à la menthe. Puis Ahmed a disparu. Nous avons cru que c'était pour la prière, mais non : il cherchait un réseau pour son cellulaire!

Au retour, après les 20 minutes de laborieuse marche qui nous ont ramenés à la Land Rover, Ahmed s'est rendu compte qu'il avait laissé les clés à l'oasis. Consternation! Pierre, dans sa grande générosité, était prêt à retourner les chercher. Mais c'était encore un coup de ce blagueur d'Ahmed : il les avait dans la capuche de sa djellaba.

Aujourd'hui, nous avons donc quitté le village de Merzouga dans le minibus d'Abdullah, grâce aux propriétaires du petit café où nous avons soupé hier soir, avec qui nous avons eu une grande conversation sur la vie, l'amitié, la mort et Allah. 

À Tineghir, Abdullah nous a confiés à Mohammed, qui nous a cédés à Hassan, qui nous a fait visiter le village et avec qui nous avons partagé un plat de kefta (viande hachée) grillé avec des tomates et des oignons (délicieux, je ne trouve pas le point d'exclamation, mais il y en a un ici). 

Puis Hassan nous a mis dans le taxi d'Essaïd (non sans nous avoir préalablement vendu un tapis), lequel (Essaïd, pas le tapis) nous a conduits à l'hôtel Yasmina, dans le petit village d'Ait Quelque Chose, d'où je vous écris, et où il règne en permanence une terrible odeur de gazole à cause des groupes électrogènes qui alimentent les maisons.

Hassan nous a promis, la main sur le cœur, de revenir nous chercher demain matin, huit heures, pour une randonnée dans les gorges. J'espère que mon petit genou tiendra le coup.

lundi 23 avril 2007


Nous voici à Er Rachidia, une ville pauvre et assez laide ou il n'y a rien à voir, mais c'est l'étape obligée pour aller dans l'erg Chebbi, où l'on dit que les levers de soleil sont spectaculaires.

Nous sommes parvenus ici après huit heures d'autocar sur une route vertigineuse qui serpente à travers d'austères montagnes de roche (le paysage du film Babel, vous savez, quand la femme de ce crétin de Brad Pitt reçoit un pruneau dans l'épaule? Ben c'est là).

Partout les femmes s'échinent au travail, souvent portant un enfant sur le dos, pendant que les hommes flemmardent au café ou tentent de faire quelques sous auprès des rares touristes (en l'occurrence, nous: il n'y a aucun autre étranger à la ronde, ni dans le car ni ailleurs).

Le chauffeur du car conduisait systématiquement sur la ligne blanche, klaxonnait furieusement pour écarter les gêneurs et doublait dans les courbes tout en mangeant des arachides en écale et en papotant au téléphone, au son d'une chanson qui a dû tourner en boucle pendant au moins deux heures. Ce doit être une façon d'inciter les infidèles à se convertir à l'islam. 

En tout cas, notre voisine de siège m'a donné un minuscule livret en arabe, qu'elle avait acheté à l'un des innombrables vendeurs de tout et de n'importe quoi qui prennent les cars d'assaut aux arrêts. C'est censé porter chance. Inch'Allah.

En quittant Fès, ce matin, nous avons traversé une splendide forêt de cèdres peuplée de singes magots (semblables aux macaques). Nous en avons aperçu plusieurs qui prenaient le frais le long de la route; un peu plus et ils nous envoyaient la main.

Voilà, demain nous nous mettons donc en route pour Rissani, à quelque 100 km d'Er Rachidia, puis cap sur Merzouga, aux portes du désert, où nous passerons deux ou trois jours. Je ne pourrai peut-être pas vous écrire de là-bas, mais envoyez-moi un petit mot, que je sache que vous me recevez.

Allah yesselemk (que Dieu vous garde).

vendredi 20 avril 2007

Maroc!


Nous voici donc à Fès, ville impériale, cœur des traditions et de la culture marocaines, où les claviers des ordinateurs sont non seulement AZERTY, mais aussi en arabe, alors pour les accents, les points et tous les accessoires habituels, s’il vous plaît, servez vous de votre imagination pour l'instant.

AH! je viens de trouver le point.

Le soir de notre arrivée à Fès, nous avons assisté au mariage de Raja, la sœur cadette de notre hôtesse, Tourya. Dans une vaste salle éclairée à giorno, nous avons été projetés parmi une foule de femmes en foulard et fastueux cafetans brodés, d'hommes sur leur 31, de musiciens et d'enfants aux yeux de velours.

Les petites bouchées circulaient (sucré, salé, allez hop, pourvu que ça se mange), les musiciens sonnaient tambours et trompettes, et la mariée, magnifique et un peu crispée dans une chaise haut portée par ses femmes, se fait secouer en mesure au milieu de la foule et des youyous. On la promène comme ça à travers la salle chaque fois qu'elle change de toilette, sept fois selon la tradition, avec coiffures et bijoux différents. Pas reposant, dites-vous? 

J'ai goûté mes premières cornes de gazelle, bu force thé à la menthe dans de petits verres, rencontré les sept sœurs de Tourya et les beaux-frères assortis, plus ses deux frères et la femme de celui qui est marié; sans compter la famille (franco-turque) du promis et toute une ribambelle d'enfants dont je ne suis hélas pas parvenue à retenir les noms.

Hier, nous sommes allés marcher dans la vieille ville (la médina), guidé par Azzedine, 28 ans, illettré mais parlant parfaitement espagnol, français, anglais, arabe et berbère évidemment, et sans doute aussi un peu italien et allemand. 

Il nous a bien sûr emmenés dans des boutiques où il reçoit une petite commission si nous achetons quelque chose, c'est la règle. J'ai âprement marchandé deux adorables paires de babouches (vous connaissez mon petit côté Imelda Marcos, la femme aux 5000 paires de chaussures) que j'ai sans doute payées trois fois le prix marocain, mais ca aussi, c'est la règle.

C'était une beauté de voir Azzedine saluer tout le monde, nous expliquer l'histoire de telle medersa (école coranique), détailler l'architecture, citer des dates et des noms... L'université de la vie, comme il dit, lui a beaucoup appris.

Nous avons ensuite marché vers le quartier juif, où un comédien fabuleusement doué nous a raconté une salade que nous avons allègrement consommée jusqu'à la dernière feuille. N'empêche, nous sommes entrés dans des maisons (aujourd'hui habitées par des familles arabes ou berbères souvent fraîchement descendues des montagnes pour s'établir en ville) et vu ce que peu de touristes peuvent voir.

À la fin, celui qui disait s'appeler Jacob a tenté de nous extorquer 200 dirhams (30 $) chacun pour financer la restauration du quartier juif». Il avait pris soin de nous emmener pour cela dans une impasse d'où nous aurions été bien en peine de ressortir sans aide. À force de parlementer, nous nous sommes entendus pour une petite somme et un paquet de cigarettes. Moralité: y en a pas, faut bien gagner sa croûte.

Nous sommes allés souper chez les parents de Tourya, des gens adorables de simplicité et de gentillesse. Toute la famille du nouveau mari de Raja y loge en ce moment, cela fait bien une trentaine de personnes à nourrir. 

J'ai mangé des choses exquises avec les hommes, à l'étage (rien à faire, on n'a pas voulu de moi à la cuisine, avec les autres femmes). À un moment, le père de Tourya, goguenard, m'a dit que, à force de me tenir avec les hommes, j'allais finir avec une moustache. J'espère qu'il y a de bons services d'épilation dans les hammams...