vendredi 20 avril 2012

Grenade

Aujourd'hui, nous avons quitté tôt notre village pour filer à Grenade, où nous allions visiter l'Alhambra, une ville mauresque dans la ville espagnole. L'héritage arabe est partout en Andalousie, malgré les efforts des catholiques pour en détruire les traces. Quand on voit ce qu'il en reste, on se dit que les sauvages ne sont pas du tout ceux qu'on pense, non monsieur. Raffinement des mœurs, de l'architecture, du savoir, de la civilisation...


Songez que, pendant les huit siècles du règne almudejar, chacun avait le droit de pratiquer sa religion et de vivre selon sa conscience, et que quand les catholiques ont fini par vaincre les musulmans, ils ont rasé les mosquées, brûlé des dizaines de milliers de livres et chassé des savants, des poètes, des artistes qui avaient façonné le visage de l'Andalousie, pour y substituer l'Inquisition, l'obscurantisme et l'ignorance.

Cela fait que, moi qui entre toujours volontiers dans les églises des pays que je visite, je les ai tout à coup regardées autrement, ces prétentieuses cathédrales espagnoles, bien souvent dorées de l'or volé aux Incas, avec leurs Christs sanglants, leurs vierge Marie éplorées vêtues de brocart, leurs scandaleux trésors – ostensoirs ostentatoires, reliquaires d'or et d'argent sertis de pierreries qui recèlent prétendument la troisième phalange du petit doigt de saint Machin ou une dent de lait de sainte Chose...

Enfin.

Cauchemar immobilier

Pour se rendre à Grenade, il faut longer la Costa del Sol, un carnage immobilier dont je n'ai vu l'équivalent nulle part ailleurs dans le monde. Côté mer, les villages de pêcheurs qui émaillaient la côte dans les années 50 ont été écrasés sous le pas des bulldozers et remplacés par de hideuses barres hôtelières, puis par de faux châteaux qui gagnent peu à peu les collines environnantes.

Heureusement, il reste encore des cultures en terrasse dans ces collines, occupées et cultivées depuis des siècles, voire des millénaires. Pas une qui n'ait été aplanie en multiples escaliers, un patient travail qui ne cesse de m'impressionner. Y poussent citronniers et orangers (en ce moment chargés de fruits), avocatiers et manguiers, oliviers en quantité bien sûr, plus des vignes curieusement rabattues à ras le sol, quand ce ne sont pas des serres, aussi au ras du sol, qui s'étendent à perte de vue. Et pendant qu'on regarde ce paysage quasi désertique par ailleurs, où prolifèrent les cactus et les palmiers, les hauteurs couvertes de neige de la Sierra Nevada étincellent au soleil.

Curieux pays que celui-là, où je reconnais un peu de l'Italie, beaucoup du Mexique et du Maroc, et qui a tout de même une personnalité bien à lui. Prenez la coutume des tapas. Suis-je bien tombée, moi qui suis constamment obsédée par la nourriture et totalement agnostique: ici, c'est une religion, la seule qui m'importe vraiment. Boire sans manger, en Andalousie, ça ne se fait pas (le contraire non plus). C'est heureux. Les bonnes choses sont là, sous votre nez, sur le comptoir, à température pièce (de quoi faire frémir les inspecteurs de Santé Canada): salade russe, anchois à l'escabèche, chorizo, jambon pata negra (comme du serrano, mais en mille fois meilleur, plus fin, plus doux, plus tendre et plus sucré que tout ce que vous pourriez imaginer) et autre ragoûtants ragoûts que vous ne sauriez nommer, mais qu'on se fera un plaisir de vous faire goûter.

Oui, parce que, en plus, les gens sont ici d'une gentillesse, d'une affabilité, d'une courtoisie absolument délicieuses.

Alors que voulez-vous? Même si Grenade nous a un peu déçus, nous sommes là, sur la terrasse de notre petite maison de 300 ans, à regarder le soleil se coucher derrière le clocher du village pendant que les hirondelles commencent leur ballet, et nous sommes heureux.

Dimanche, nous partirons probablement pour Cordoue, puis nous irons voir Séville en pleine effervescence pour cause de feria: corridas, chevaux, flamenco. On ne va quand même pas rater ça...

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