samedi 6 avril 2013

Jérémie


Je ne voudrais pas avoir l’air de me vanter, mais j’ai fait hier mon premier voyage en Cessna, oui messieurs-dames. Quarante minutes de vol de Port-au-Prince à Jérémie dans un coucou de quatre places construit en 1962, qui tanguait et craquait comme un rafiot.

J’ai adoré ça.

J’étais la seule passagère. Roger, le pilote, m’a demandé si je voulais m’asseoir à l’avant ou à l’arrière. Quelle question! J’ai grimpé à côté de lui, il m’a passé un casque d’écoute qui m’a donné l’air de Mickey Mouse, il a réglé un tas de manettes et de cadrans et on a décollé. 
Yahou! Quelle sensation!Roger est l’archétype du pilote de brousse qui a beaucoup bourlingué. Américain, blond aux yeux bleus, la cinquantaine, petite queue de cheval, casquette, bonne bedaine de bière, il ressemble à Bill Ballantine, l’inséparable compagnon de Bob Morane (les jeunes, googlez). Ultra-cool, il m’a même passé les commandes pendant 10 bonnes minutes! Bon, les commandes, c’est un bien grand mot : j’ai tenu le volant et sagement gardé le cap. Après coup, je me suis trouvée bien bête : je n’ai même pas tenté un petit looping, pas de tonneau, rien!

Je m’en veux encore.

***

Après la terre aride et épuisée de Paillant, celle de Jérémie est une véritable consolation. Enfin les Tropiques! 

Le long de la route de l’aéroport, de petites habitations traditionnelles aux couleurs de bonbons se devinent derrière des entremêlements de bananiers, de manguiers chargés de fruits verts, d’arbres à pain aux vastes feuilles vernies, de bougainvillées aux couleurs violentes et d’hibiscus hauts comme des maisons. 

Des femmes marchent dans la poussière blanche du chemin à côté d’un âne lourdement chargé; des grappes d’enfants ou de cabris s’égaillent sur notre passage. Il fait chaud, la mer est là, toute proche, sur la gauche – on la devine à travers la végétation.

Jérémie est une très vieille ville bâtie selon le plan colonial classique : rues à angle droit autour d’une place carrée où se font face la cathédrale, l’hôtel de ville et quelques bâtiments officiels. Cela ressemble aux villes de Colombie ou du Mexique, à ceci près que tout est  décrépit, décati, déliquescent – tellement que c’en est beau. 













Comme toujours, il y a du monde partout, des motos, des marchandes de petites choses, des écoliers en uniforme. Les gros 4X4 de la Minustah chargés de Casques bleus passent régulièrement. Chaque fois que je demande : «Mais que font-ils donc, ici?», on hausse les épaules, on lâche un petit rire sarcastique. «Ils sont en vacances!», m’a répondu quelqu’un.

Je loge à l’Auberge Inn – malheureux jeu de mots qui ne rend pas justice au charme de la maison. La propriétaire, Juliette, est un phénomène de femme, beauté frappante et métissée à qui l’on donnerait facilement 20 ans de moins que les 60 qu’elle déclare.

Architecte de formation, elle a mille affaires en route qu’elle mène tambour battant, dont un centre communautaire, le centre Numa-Drouin, qu’elle a fondé et dont elle n’est pas peu fière, avec raison. Il y a une bibliothèque de quelque 5000 livres, une trentaine d’ordinateurs portables, une salle multimédias. On y donne des ateliers d’informatique ou de bricolage avec des matériaux recyclés, des formations en entrepreneuriat… Il règne là une atmosphère de ruche qui fait plaisir à voir.

Ce soir, j’ai assisté avec Juliette à une sorte de cabaret littéraire qui a lieu les vendredis soir autour de la littérature haïtienne contemporaine. C’est un petit festival organisé par les animateurs du centre. Chaque semaine, depuis environ un mois, les élèves d’une école de la ville donnent une conférence sur l’œuvre d’un auteur donné. Ensuite, ils répondent aux questions d’élèves d’autres écoles dans ce qui, en principe, doit prendre la forme d’un débat. Un jury évalue la qualité de la conférence, et le tout est suivi d’un volet culturel avec musique, théâtre, danse, etc.

Je voudrais bien voir si une activité de ce genre organisée pour les écoles publiques de chez nous susciterait autant de feu et d’enthousiasme. Il faut dire que les distractions sont rares, à Jérémie. Mais tout ce monde sur son 31, ces filles en délire qui encouragent leurs camarades et mènent la claque… On aurait dit un match de foot!




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