mercredi 21 mai 2008

Auschwitz

Bon, vous excuserez le decrochage chronologique, mais il me fallait prendre le temps de decanter tout cela...

Nous sommes donc alles a Auschwitz lundi. 

A l'arrivee, les batiments de brique rouge, les allees bordees de grands arbres peignes par le vent, les oiseaux qui chantent nous font presque oublier ce qui s'est passe ici. Chaque baraque est consacree a un aspect de la vie du camp ou a ce qui s'est passe dans certains pays en particulier (Belgique, Pays-Bas, etc.). Quand on a beaucoup lu sur le sujet, on n'est pas etonne - juste un peu plus profondement enfonce dans l'incomprehension. Car enfin, s'il ne s'etait agi "que" de detruire un peuple, on aurait pu le conduire a l'abattoir directement, comme on le fait avec le betail. C'aurait deja ete affreux, mais au moins n'y aurait-il pas eu toutes ces souffrances infinies... Mais non. Il fallait encore l'humiliation, l'abjection, la negation de toute humanite, la lente agonie dans le froid et les privations.

Comment toute une societe en est arrivee a cautionner cette entreprise dementielle, comment on est parvenu a deshumaniser autant de soldats pour qu'ils jouent le sinistre role qu'on avait planifie pour eux, cela me depasse encore plus qu'avant, je crois bien.

Ce qui frappe, quand on visite tous ces lieux commemoratif, ce sont les listes. Listes soigneusement dactylographiees des noms de ceux qu'on envoie a la mort, listes des biens qu'on leur a pris, listes des morts du jour, listes des objets envoyes en Allemagne pour reutilisation... Cela confine a la schizophrenie, une sorte d'obsession compulsive qui doit bien, quelque part, hanter la memoire collective des Allemands.

Et puis on prend une navette qui nous emmene a Birkenau, la ou on a porte la mecanique de mort a un sommet de cynisme et d'efficacite. Il reste peu de chose de cette section du camp, les Allemand en ayant dynamite une bonne partie dans l'espoir d'effacer les traces les plus compromettantes de leurs crimes. Le batiment des douches, intact, laisse neanmoins voir a quel point tout etait pense pour tuer un maximum de gens en un minimum de temps. 

Et puis il reste les ruines des fours crematoires, pres desquelles on a edifie un monument commemoratif. Ce jour-la, un groupe d'Israeliens se recueillaient, et il y avait dans un coin plusieurs adolescents assis tout pres les uns des autres, mais sans se toucher, le long d'une serie de marches. De temps en temps, un garcon detournait la tete pour ecraser une larme, une fille se tamponnait les yeux. Cela sans effusions, sans un mot, presque sans un geste, dans un grand silence consterne. Il y avait aussi un vieil homme coiffe d'une kippa, tres beau et tres digne, mais comme ecrase de peine. 

Nous avons repris le chemin du batiment principal, et il s'est mis a pleuvoir. D'abord doucement, une belle et bonne pluie d'ete. Puis de plus en plus fort. Pierre a eu l'idee de couper a travers une section du camp fermee par une chaine cadenassee. Je l'ai suivi. Il s'est mis a tomber des clous, des cordes, des chiens et des chats, name it. Mes sandales ne m'ont bientot plus ete d'aucune utilite dans ce chemin pierreux et vaseux; j'etais trempee comme une soupe et je sacrais comme une diablesse en maudissant mon amoureux, qui a toujours des plans sans bon sens (parce que, evidemment, si c'etait ferme, ce n'etait pas pour qu'on y entre; apres avoir traverse tout le champ, nous nous sommes retrouves pieges par les barbeles).

Et j'ai soudain pense aux millions de personnes qui ont vecu tellement, tellement pire dans ces lieux memes, dans le froid de l'hiver, sans espoir d'en sortir un jour, et je me suis mise a rire de moi-meme.

J'ai seche mon pantalon dans la salle des toilettes, nous sommes rentres en silence.


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