lundi 26 mai 2008

Budapest


Telle que vous ne me voyez pas, c'est la premiere fois de ma vie que je gueris normalement d'une grippe, c'est-a-dire sans me bourrer d'antibiotiques pour terrasser une bronchite avant qu'elle ne devienne pneumonie et ne me terrasse elle-meme.

J'en benis les eaux thermales de Budapest, dans lesquelles nous avons longuement marine a deux reprises au milieu d'une quantite remarquable d'eclopes de tout acabit - bossus, boiteux, ventrus, manchots et autres vieillards cacochymes. C'etait chouette, parce que, au milieu de cette faune, nous nous trouvions vachement beaux, mon homme et moi!

Budapest ne se laisse pas aimer au premier abord -- il nous a fallu y mettre quelque effort. On voit bien que la ville et ses habitants ont beaucoup souffert de la guerre et du regime communiste. Mais, curieusement, un serveur nous a affirme que ses parents, qui sont a l'aube de la soixantaine, eprouvent de la nostalgie pour les annees sovietiques. Cela donne une ville qui se cherche, entre des jeunes tres dynamiques qui demarrent de petites entreprises, ou on les voit travailler tard le soir, et une generation pour ainsi dire perdue, ceux qui avaient toujours ete completement pris en charge par l'Etat et qui ont ete abandonnes.

L'architecture baroque est ternie par des annees de pollution et de negligence, mais je prefere encore ces immeubles patines et decatis aux maisons de poupee pragoises, comme trop belles pour etre vraies. Nous logions dans une auberge de jeunesse (pas du tout reservee aux jeunes, contrairement a ce qu'on pourrait croire, mais dans tous les cas bon marche et impeccable), au milieu du quartier juif - a mon avis le plus interessant de Budapest. Un matin, nous avons atterri dans un minuscule cafe tenu par Micklos, un tres beau jeune juif au regard incroyablement franc et chaleureux, et nous avons mange les meilleurs strudels aux cerises de toute la Hongrie, j'en mettrais ma main au feu. 

Nous avons bien sur marche dans Buda, la partie plus bourgeoise et plus calme de la ville, mais elle nous a paru un peu desincarnee, une sorte de Westmount refaite apres la guerre et la revolution de 1956. En fait, le clou de notre sejour est sans conteste Memento Park, un lieu fantastique ou les Hongrois ont eu l'intelligence de conserver les icones du communisme deboulonnees en 1990. Il y a la de gigantesques statues de Lenine et de Marx, des oeuvres celebrant la gloire du proletariat ou les "martyrs de la contre-revolution" de 1956 (comme quoi tout est toujours une question de point de vue!) et autres chef-d'oeuvre du realisme socialiste. Tres instructif, et tout cela sans une once d'ironie: c'est un temoignage historique, un desir de ne pas tout effacer, en fait l'exact contraire du revisionnisme historique si cher aux apparatchiks, et c'est par la meme une entreprise remarquable.

Aujourd'hui, je vous ecris de Croatie, plus precisement de Rijeka, une ville portuaire au bord de l'Adriatique, ou nous sommes arrives hier apres une journee a Zagreb, dont nous sommes tombes raides amoureux apres la grisaille hongroise. Zagreb, tout en pentes, recele des jardins secrets, des coins invisibles, des venelles envahies de lierre et de fleurs echevelees, des terrasses ombragees, de vieilles pierres comme on les aime. Nous logions dans une tres ancienne maison dont la proprietaire n'occupe plus que deux pieces. Elle loue les autres aux voyageurs. La collection de portraits qui orne la piece centrale donne a croire qu'elle vient d'une grande famille bourgeoise qui a perdu sa fortune, peut-etre a cause des guerres, allez savoir... 

De la ville haute, ou se trouve cette maison, le regard embrasse une cascade de toits de tuiles rouges piquetee de clochers de toutes les formes qui, en ce dimanche, sonnaient a l'unisson l'heure des messes (les Croates sont tres pratiquants). Nous ne manquons pas, tout mecreants que nous soyons, de visiter toutes les eglises que nous croisons. Cela nous emerveille, nous emeut, nous touche toujours d'une manniere ou d'une autre.

Nous sommes arrives a Rijeka hier soir apres avoir traverse en car des montagnes semees de hameaux proprets, que nous avons ensuite devalees vers la mer par des chemins sinueux dans lesquels le car ne se faufilait qu'au prix de mille precautions. Ici, il y a des cafes partout, les Croates parlent italien (o joie!), mangent des glaces, font des plats de poisson divins (comment vous decrire sans vous faire pleirer notre repas d'hier, pris dans le seul restaurant de Rijeka ouvert un dimanche soir?). La mer est a deux pas, nous la prenons ce soir a bord du Marco Polo, qui nous emmenera a Dubrovnik, a l'autre bout de la cote dalmate. De la, nous remonterons tranquillement jusqu'a Zadar, d'ou nous prendrons l'avion qui nous ramenera vers Londres. Mais il ne faut pas que j'y pense trop, je vais pleurer. Carpe diem, comme on dit.

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