Je vous avais dit que, vendredi soir, Ronel,
un ami de Gregory, nous avait proposé d’aller écouter des troubadours (ou du
troubadour, ou le troubadour – en tout cas, sé mizik tradisyonèl, et rien que ce nom me fait craquer). Il devait nous appeler et venir
nous chercher en soirée, mais on n’a jamais entendu parler de lui.
De toute
façon, à la fin de la journée, ces heures passées à me faire secouer à moto et
en tap-tap dans le vacarme et les gaz d’échappement me laissent épuisée, si
bien que je ne rêve plus que d’une douche et d’un peu de silence. Alors tant
pis pour les troubadours.
Samedi matin, Ronel a appelé pour dire qu’on
se reprendrait le soir même. En attendant, pour nous reposer (!), nous avons
parcouru je ne sais combien de kilomètres à l’assaut des hauteurs de
Pétionville et au-delà, jusqu’à Kenscoff, à plus de 1000 mètres d’altitude.
Nous avons brièvement visité le fort Jacques, construit après l’indépendance,
d’où l’on a une vue splendide sur cet Haïti fertile qu’on aimerait voir
partout. À flanc de montagne, des jardins en terrasses donnent carottes,
oignons, laitues, patates douces, tomates, poivrons... Légumes que l’on ne
trouve pourtant nulle part dans la cuisine populaire, essentiellement composée
de riz pois collés (on appelle «pois» toutes les légumineuses) et de plantain
frit, qui accompagnent la viande (porc, poulet ou chèvre) quand il y en a.
Paillant
Je vous épargne le parcours du combattant
qu’il nous a fallu accomplir pour venir jusqu’à Paillant, où nous sommes
arrivés en fin d’après-midi. À compter de 1940 et jusque dans les années 80, la
société Reynolds y a exploité une mine de bauxite. Le sol y est couleur de
rouille, la terre semble bonne, mais on n’y cultive plus rien parce que les
gens préféraient travailler à la mine et que, maintenant, le savoir s’est
perdu.
Depuis que Reynolds, selon la bonne habitude
des sociétés minières, a abandonné les lieux après en avoir tiré tout ce
qu’elle pouvait, les ressources sont rares dans cette commune de 15 000 à 20
000 habitants (ce n’est jamais clair). L’entreprise a laissé derrière elle le
complexe où vivaient ses cadres, avec eau courante
et électricité en permanence, des luxes que peu de gens ici peuvent espérer
s’offrir un jour.
Les immeubles sont maintenant occupés par un
petit hôpital, la police, la mairie et Radio Paillant Inter. Au loin, on voit
la mer quand le ciel n’est pas trop brumeux. Je vous écris du studio, dont la
porte est grande ouverte sur l’extérieur. Merl, le DJ, s’apprête à commencer
son émission, deux heures de musique tonitruante, après quoi nous aurons
(peut-être) une réunion, peut-être à 16h, avec un nombre encore indéterminé de
personnes, pour discuter de ce que nous allons faire. Le comment viendra plus
tard, je le devine. Surtout, ne pas s'énerver: c’est comme ça, ici.
Je loge chez la belle-mère de Greg, dans une maison
de quatre pièces où l’électricité est un phénomène aléatoire. Il y a une salle
de bain avec toilette et douche, mais pas d’eau courante. C’est donc, encore
ici, le système du seau qui s’impose. La cuisine est une cabane de bois dans la
cour, où l’on cuit les aliments sur un feu de bois ou de charbon. Comme en campinq, quoi. Des poules
errent de-ci de-là, avec quelques chiens jaunes comme on en voit dans le monde
entier.
Hier, nous sommes sortis écouter du kompa et
boire de-twa biè (deux-trois bières). J’ai fait la
connaissance de quelques bénévoles de la radio – Merl, le DJ ; Robson,
directeur de la programmation ; d’autres encore dont j’oublie le nom. Ils
sont tous brillants et aimables, pleins de bonne volonté.
Tous parlent un français extrêmement fleuri,
avec des «fort souvent», «cela», «maintes fois» et autres «certes», qui
contraste radicalement avec la simplicité apparente du kreyòl. Mais simple ne signifie pas nécessairement facile : si je commence à
pouvoir émettre quelques phrases, je suis encore loin de comprendre ce qui
se dit autour de moi, d’autant plus que je suis encore pas mal sourde. J'ai demandé à Greg de m'emmener voir un sorcier vaudou, c'est mon seul espoir!
Là, je vais sortir d’ici, parce que la musique
de Merl va achever de me handicaper.
difisil le kréyol lè w ap soud zòrèy
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