mercredi 27 mars 2013

Wilbens

Wilbens a 28 ans. Il travaille comme instituteur dans une école secondaire, où il enseigne la littérature française, 12 heures par semaine, à 100 gourdes l'heure (souvenez-vous: 1$ = 40 gourdes).

Il a perdu sa mère quand il avait 5 ans. Comme souvent ici, il ignore de quoi elle est morte – elle est morte, c'est tout. Chose rare, son père ne s'est jamais remarié.

Wilbens vit donc seul avec son papa (le reste de la fratrie est à Port-au-Prince), dans une maison sans électricité ni eau courante. C'est lui qui s'occupe des courses, de la cuisine, de la lessive. Son père entretient quelques poules et un petit potager où poussent des ignames, des betteraves, peut-être un peu de maïs – le genre de légumes qui peuvent se contenter d'un sol pauvre.

Le rêve de Wilbens aurait été d'étudier la philosophie, peut-être à l'étranger. Mais il sait bien que la chose ne se fera jamais. Il y a quelques années, son père, qui est cultivateur, a vendu une parcelle de terre pour envoyer l'un de ses frères étudier au Canada. Les démarches administratives ont mangé tout le pécule, mais le frère n'a jamais pu obtenir son visa. L'argent a donc été dépensé en pure perte.

Wilbens a une petite moto, sa clé pour un peu de liberté, qui lui permet de venir tous les jours à la radio, beau temps, mauvais temps, ou d'aller fouiner à la bibliothèque de Miragoâne quand bon lui semble. Mais comme il a besoin d'argent, il devra peut-être la vendre.

Il écrit en créole des poèmes ravissants, qu'il dit d'une fort jolie voix, tout doucement, naturellement, sans fausse humilité. Il cite Hugo, Montaigne, Corneille, et même un poète québécois dont il a oublié le nom, mais non les vers. Il joue de la flûte et de la guitare mais ne sait pas le solfège. Il compose à l'oreille.

Comme il n'y a pas d'électricité chez lui, on veille à la lueur d'une lampe à l'huile, dont la chiche lumière rend la lecture presque impossible en soirée. Il a bien un panneau solaire, qui lui a permis de s'éclairer pendant quatre ou cinq ans. Mais la batterie est morte, et il n'a pas les 100$ canadiens que coûterait une batterie neuve.

Je me suis invitée à souper chez lui demain. Nous irons au marché de Mussotte acheter ce qu'il faut (c'est moi qui paierai, bien entendu); il préparera quelque chose de bien haïtien, je ferai la connaissance de son papa.

Et je crois bien que j'oublierai sur la table quelques billets de 20$US, pour qu'il puisse lire le soir pendant encore quatre ou cinq ans...



1 commentaire:

  1. peytavin françoise28 mars 2013 à 06:08

    belle rencontre, émouvante et qui donne des frissons dans l'échine. et aussi des remords quand on pense à ce que nous gaspissons chaque jour !!

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