dimanche 17 mars 2013

De choses et d'autres (bis)


Après deux jours à Port-au-Prince qui ont mis ma patience à rude épreuve, nous avons quitté l’Université vendredi à 18h, la pire heure qui soit pour sortir de la ville. Jamais vu pareil chaos. Des flots et des flots de piétons, une mer de véhicules puants dont les chauffeurs klaxonnent sans relâche comme si ça pouvait accélérer les choses, les motos à contre-sens, les véhicules de police qui tentent de se frayer un chemin à grands coups de sirène (sans aucun effet)... 

Nous avons trouvé deux places dans un minibus qui partait à l’instant (enfin, façon de parler). Je me suis insérée sur un petit banc de bois sans dossier, entre la porte coulissante et une volumineuse dame qui n’a montré aucune disposition à me céder ne fût-ce qu’un pouce de terrain. Heureusement, Gregory était derrière moi, j’ai pu l’utiliser un peu pour m’adosser durant les trois heures qu’a duré le voyage.

Le voisin de Greg répondait à son damné téléphone (sonnerie genre Lambada) toutes les deux minutes (sans exagération) et parlait aussi fort que s'il avait eu un appareil à cornet. Je rêvais de lui faire bouffer son portable.

Enfin arrivés à Miragoâne, Greg a tiré de son sommeil son ami Wilbens pour qu’il vienne nous chercher à moto. Wilbens aurait pu dire non, mais ici, ce genre de chose est impensable. Il a donc franchi de nuit cette route défoncée, déjà dangereuse le jour, pour nous ramener tous les deux, chargés comme des baudets. Je ne sais comment il fait pour  slalomer aussi habilement entre les nids-de-poule tout en lâchant des boutades dont lui seul a le secret. 

À la maison, Adèle nous avait laissé un plat de poisson et de riz. Deux amis de Greg, bénévoles de la radio qui viennent de Petit-Goâve, étaient déjà couchés, tête-bêche, dans le lit de Sarah, laquelle prétendait dormir par terre dans ma chambre alors que j’ai un lit à deux places. Il m’a fallu insister beaucoup pour qu’elle accepte de le partager le lit… tête-bêche. Curieuse coutume !

Adèle, elle, pour nous laisser la place, était allée coucher chez des parents ou des amis. Encore aujourd’hui, elle a fait à manger pour toute la maisonnée, plus quatre, cinq ou six personnes qui sont venues, tour à tour, et reparties avec un plat. 

Adèle tousse constamment, peut-être à force de cuisiner sur un feu de bois. Elle tient un petit commerce où elle vend du savon, des légumineuses, des produits de première nécessité, où elle se rend quand elle a fini son ordinaire à la maison. Lorsqu'elle rentre, elle doit encore cuisiner pour la maisonnée, et personne, jamais, ne lève le petit doigt pour l'aider, fût-ce à transporter une assiette.

Adèle.


***

Hier, j'ai croisé en rentrant à la maison un vétérinaire qui, au bord de la route, était en train de soigner un boeuf dont la fesse avait été lacérée par une machette. Je n'ai pas trop compris le comment du pourquoi, mais j'en ai profité pour discuter un peu avec lui (le véto, pas le boeuf!). Agriculture, approvisionnement en eau, élevage, prix des grains de provende... Tout, mais tout, dans cette région qui pourrait être si jolie, semble compliqué au-delà du possible.

Rien que pour vous dire, ici, la fontaine publique n'ouvre que durant quelques heures le samedi. Lorsqu'il pleut assez, cela va encore puisque les maisons sont pour la plupart équipées de citernes qui recueillent l'eau de pluie. Mais en ces temps de sécheresse, la journée d'hier a été un incessant va-et-vient d'hommes, de femmes et d'enfants qui transportaient autant de bidons, de cruches et de seaux que possible dans les équipages les plus improbables (sur la tête, à dos d'âne, à moto, en brouette, tout est bon).

L'eau provient d'un puits apparemment hérité de la présence de la Reynolds. Je me demande combien il faudrait d'argent pour creuser suffisamment de puits pour alimenter toutes les maisons. Si Guy Laliberté avait réfléchi un peu au lieu d'aller faire le clown dans l'espace pour promouvoir sa fondation One Drop, il aurait peut-être dépensé cet argent plus intelligemment?

J'enrage quand j'y pense. 

Enfin. Sur une note plus rigolote, aujourd’hui, on m’avait annoncé qu’il y aurait le premier match d’un tournoi de foot entre des équipes formées par des stations de radio. Ça devait être à 16h. À 16h25, personne n'avait encore bougé. On a appris que l’une des équipes n’était pas encore arrivée. J'ai donc continué de taper tranquillement sur mon ordi dans le studio (où se trouve la seule prise de courant) pendant que des gens du village, par la porte grande ouverte sur l’extérieur, regardaient… un match de foot à la télé.

Nous avons fini par nous mettre en branle vers 16h45. Pour nous rendre au terrain de foot, nous avons traversé une jolie campagne où, apparemment, on a accès à l'eau et où se tient un marché le mercredi (c'est à suivre). Ça m'a consolée.

En fin de compte, nous sommes arrivés 10 minutes avant la fin du match. L'équipe de Petit-Goâve ne s'est jamais présentée, je ne sais comment on l'a remplacée.

Quand les joueurs ont quitté le terrain, une poule l'a tranquillement traversé avec sa couvée, une huitaine de poussins tout piaillants, comme si elle n'attendait que ça.

2 commentaires:

  1. La question qui se pose concernant Laliberté n'est pas tant l'usage qu'il fait de son argent, mais s'il a payé le voyage de sa poche ou via la fondation sous prétexte d'une activité de promotion ou de levée de fonds. Le cas échéant, nous aurons financé la moitié du prix de son escapade, par la magie de la fiscalité. Ce qu'on appelle joindre l'utile à l'agréable! Ce serait bien de savoir le fin mot de cette histoire plutôt que de rester sur cette désagréable. incertitude.

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  2. En fait, j'ai appris que le problème n'est même pas le nombre de puits à creuser. Ce qui manque, c'est l'argent pour faire fonctionner la pompe qui tire l'eau du puits actuel... Quelques panneaux solaires et le tour serait joué.

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