dimanche 16 mars 2008

Simone


Comme je le craignais, Gand est une ville tellement trop romantique que je ne veux plus partir. Mais Bruges m’attend, et je sais que je ne serai pas déçue. On me dit que c’est plus petit et plus tranquille que Gand, j’aime autant vous dire que je ne me ferai pas mourir là-bas, sauf d’amour pour les vieilles pierres.
J’ai rencontré vendredi le fils d’une femme que mon père, paraît-il, a failli épouser quand il était jeune policier militaire, pendant la Deuxième Guerre. Hier, nous sommes allés voir sa maman, Simone, au foyer où elle attend désormais que sa vie se termine. Elle est toute menue et tassée, n’a plus du tout de mémoire et se conduit comme une petite fille timide, demandant sans cesse si elle doit payer pour ceci ou cela, mangeant avec gourmandise mais fort proprement la glace que son fils lui apporte… 
Je lui ai montré des photos d’elle à 24 ans, avec papa en uniforme qui l’enlace bien solidement d’un bras pendant que, de l’autre, il tient  Jeanne, sa maman  à elle. Sur d’autres photos, on voit Simone, souriante et jolie dans une simple robe à carreaux, ou papa, beau et fier comme Marlon Brando à cet âge, sanglé dans son uniforme. Elle a eu un bref éclair dans le regard, qui s’est éteint aussitôt. Quand je lui ai dit que ce jeune homme avait été son amoureux autrefois, elle s’est écriée, étonnée, incrédule même, comme en s’excusant : «Ah oui ? Je savais pas ! Je me souviens pas !» J’ai dit : «Il était beau, hein ? Et regardez comme vous êtes jolie, vous aussi !
– Ah oui, il est beau… C’est moi, là ? Et là, c’est ma maman ? Ah bon ? Je me souviens pas…»
C’était un peu triste, mais pas trop. Et puis elle s’est mise à dire qu’elle était mall, très mall, vous savez ? Avec cet accent bellge si particulier. Mais ce qui était chouette, c’était qu’elle se souvînt de son français, que presque plus aucun Flamand ne parle maintenant, et qu'elle-même n'avait plus parlé depuis des lustres.
Ensuite, Frédéric et sa femme, qui sont absolument adorables, m’ont emmenée manger devinez quoi ?
Allons, un petit effort…
Ouéééé ! Moules et frites, allei. Que c’était bon !
Aujourd’hui, j’ai marché sous la pluie (vive le climat belge!), visité le château des comtes et deux ou trois autres trucs, et j’ai terminé la journée au musée des beaux-arts, où la collection d’art flamand a bien failli me terrasser à jamais. Brueghel, Bosch, Rubens, Van Dyke, en voulez-vous, en voilà. J’ai bien essayé de me déguiser en plante verte à l’heure de fermeture, mais on m’a démasquée et j’ai dû sortir comme tout le monde.
Puis j’ai soupé dans la famille du monsieur qui m’avait aidée, il y a trois ou quatre ans, à retrouver Simone. Il a écrit des livres sur la guerre et sur les Juifs de Gand, on a parlé de tout ça et du reste, et voilà.

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